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faisant un cornet de ses mains : « Eh ! là-bas ! ta g… ! » puis il se penche de nouveau vers son camarade, s’absorbe et se recueille pour le prononcé de l’absolution.

On croyait beaucoup naguère, non seulement parmi les non-catholiques qui ne voyaient dans les séminaristes que des « paysans réfractaires aux armes, » mais même dans les milieux dévots, qu’une stricte claustration, loin du monde, était nécessaire à la solidité des vocations. Les plus grands, les plus libres esprits partagèrent cette erreur : tout en citant le cas de petits séminaires, où tel cours, qui comptait en quatrième 44 élèves, n’avait fourni que 4 prêtres ; tout en notant que, de tel collège religieux qui instruisait 400 élèves, il n’était sorti en dix ans qu’une seule vocation ecclésiastique, Taine estimait que, pour créer des prêtres, « il fallait les prendre dans les milieux où la lumière et le bruit du siècle ne pénètrent pas, où l’on ne lit point le journal, même d’un sou, où les vocations peuvent se consolider tout d’une pièce. Elles risquent moins d’être ébranlées ou contrariées par la curiosité, le raisonnement et le doute, par les idées modernes, les influences dissolvantes, les conversations libres, la comparaison des carrières, les haussements d’épaules d’un voisin esprit fort. »

Ce qu’énonçait ainsi, comme vérité psychologique, un penseur illustre dégagé de tout parti pris, des politiques passionnés le traduisirent au profit de leurs idées par la formule, fort en vogue à l’époque, des « curés sac-au-dos. » Les effets, on l’a vu, ont été tout contraires, à la caserne en temps de paix, puis en temps de guerre sur le champ de bataille, où les « curés sac-au-dos » ont conquis de vive force l’estime de leurs adversaires. Un des plus enragés, témoin de l’héroïsme de ces prêtres, ne put s’empêcher un jour de dire : « Ces cochons-là ! Ils font exprès de se faire tuer ! » Ils l’ont fait avec simplicité, comme se font suivant le caractère moderne les plus belles choses.

La séparation d’avec l’État avait développé l’union avec les paroissiens, en forçant le curé, pour quêter son denier du culte, à pénétrer davantage dans le monde ; le monde avait fait plus ample connaissance avec cet homme, obligé de vivre plus sévèrement que les autres hommes et qui, pauvre lui-même, se chargeait par fonction du soin des misérables. Cependant, certaines portes lui restaient fermées au village ; le bivouac, la tranchée, l’ambulance, ont emmêlé beaucoup d’âmes qui