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VI

Prendre contact ! C’était là bien souvent que gisait la difficulté. Le missionnaire de l’Afrique trouvait moyen d’entrer en relations avec des sauvages dont il ne parlait même pas la langue ; comment le clergé français eût-il eu de l’influence sur les incrédules, puisqu’il n’avait avec eux aucun rapport, et semblait ne savoir comment s’y prendre pour en créer, ou ne pas oser le faire ?

La laïcisation de l’enseignement primaire avait beaucoup servi à développer le zèle du prêtre ; son action personnelle était plus grande, mais elle s’exerçait toujours dans une sphère restreinte. Or, les diverses mesures prises par l’Etat ont puissamment aidé les clercs à sortir de leur milieu ; le service militaire des séminaristes ne les a pas seulement dépouillés de leur timidité, il a eu ce résultat d’introduire des apôtres à la caserne, des apôtres en capote bleue, bien plus nombreux, bien plus près des camarades que les anciens aumôniers en soutane précédemment supprimés.

L’un de ces séminaristes soldats prêtait un jour son Evangile à un voisin de chambrée qui, par désœuvrement et faute de mieux, se résigne à lire le petit livre, s’y intéresse comme à un roman, l’achève et objecte cependant, avec scepticisme, que « tout cela sans doute n’est pas vrai. » — « C’est la vérité même, » riposte le prêteur, qui part de là pour commenter la vie et la doctrine de Jésus-Christ. — « Ah ! dit le camarade, rêveur, après un silence, mais alors, c’était un type épatant ! »

Au moment où fut votée la loi sur le service armé du clergé, Jules Simon, qui combattit le projet, disait plaisamment en manière de critique : « Si ma fille se confesse, j’aime autant que ce ne soit pas à un caporal. » Il avait tort ; ce « caporal » a trouvé des pénitents qu’un ecclésiastique ordinaire n’eût point recrutés. Et, pour s’être exercé durant ces dernières années, dans des conditions qui ne rappelaient guère la sacristie, son ministère n’a pas été moins apostolique : assis à l’écart dans une vaste grange où cantonne la compagnie d’infanterie, un prêtre-fantassin confesse un poilu agenouillé ; mais le tapage à l’autre bout est tel qu’on a peine à s’entendre. Si bien qu’impatienté, le confesseur se soulève à demi sur sa chaise et,