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tout en revendiquant sur l’Eglise les droits traditionnels de la monarchie, n’en acceptait point les charges.

Lorsqu’on écrira, dans cent ans, l’histoire religieuse de notre temps, que l’Eglise et l’Etat auront changé et seront animés d’un esprit tout différent de celui que nous avons vu à la fin du XIXe siècle, on éprouvera quelque difficulté à comprendre nos hostilités contemporaines. Il paraîtra, par exemple, inexplicable qu’ « égalité » et « fraternité » étant d’origine et d’institution purement chrétiennes, en opposition au droit antique et naturel du « surhomme, » le christianisme, qui avait vécu en bonne intelligence avec des gouvernements de toutes sortes, peu conformes à son idéal, ait eu à subir précisément l’hostilité d’un système politique qui semblait appliquer plus qu’aucun autre les principes chrétiens en prônant la fraternité légale et la charité obligatoire.

Pourquoi le régime de parfaite liberté religieuse, qui venait d’être instauré quelques années auparavant par Washington, sur le sol vierge des Etats-Unis, ne s’est-il pas acclimaté dès 1790 dans la France de la Révolution ? On ne peut reprocher au clergé, pris en bloc, d’avoir fait mauvais accueil aux « principes de 1789 ? » La masse des curés à « portion congrue, » ou plutôt incongrue, n’avait pas sous l’ancien régime une situation digne d’envie ; ce furent leurs députés aux Etats-Généraux qui, le jour du serment du Jeu de Paume, fondèrent avec le Tiers-Etat l’Assemblée nationale. Seulement, au contraire de l’Amérique où le Congrès ne s’est jamais occupé de religion, en France, où depuis quinze cents ans la religion était une institution publique, absorbée par l’Etat qu’elle avait pénétré de ses principes, le premier acte de la Constituante, qui croyait avoir laïcisé la société, fut de légiférer sur les matières ecclésiastiques en votant la « Constitution civile du clergé. » Dès lors le prêtre, indigné qu’on prétendit gouverner son église tandis qu’on ne le protégeait plus, se jeta dans la réaction et longtemps y resta.

Lorsqu’après dix ans de proscriptions et d’anathèmes l’Eglise et l’Etat, mariés de nouveau par le Concordat de 1801, reprirent la vie commune, ce fut sous le régime de la séparation de cœurs. En disant du Pape de son temps qu’il fallait « lui baiser les pieds et lui lier les mains, » le cardinal de Richelieu exprimait assez bien les rapports de la religion avec l’ancien