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Bien que l’agonie du paganisme ait duré assez longtemps et qu’en certaines contrées il se soit défendu par la force, ces procédés violents procurèrent des conversions individuelles ou collectives, en grand nombre, mais non pas de la meilleure qualité. Cependant, un monarque chrétien n’est-il pas conduit tout naturellement à faire régner la paix parmi ses frères en Jésus-Christ, à protéger la « vérité » et à combattre l’ « erreur ? » Il provoquera donc des réunions épiscopales, il y siégera comme arbitre et poursuivra par voie de rigueur l’exécution des sentences rendues.

Ainsi naquit, il y a seize cents ans, cet emmêlement du spirituel et du temporel : « théocratie, » au temps où l’Eglise gouverna directement les hommes ; « cléricalisme, » suivant l’expression contemporaine, quand elle se sert de l’Etat pour soutenir ses dogmes et faire observer ses lois. L’idée d’établir, conserver ou favoriser l’unité religieuse par l’Etat, au moyen de la force dont il est dépositaire, n’est pas une idée libérale et, par conséquent, ce n’est pas une idée chrétienne. En effet, le chrétien est par définition le plus libéral de tous les hommes. Il doit travailler par l’exemple et par la parole à propager la foi ; mais pût-il, au prix d’un seul coup de poing, convertir le monde entier, il n’aurait pas le droit de donner ce coup de poing.

Le Dieu tout-puissant qu’il adore s’est plu à respecter la liberté de sa créature ; « la vérité vous fera libres, » a dit le Christ, et l’apôtre saint Jacques écrivait : « Vous serez jugés par la loi de liberté. » Comment le chrétien oserait-il attenter à la liberté de ses frères. Cette liberté, d’où il tire son mérite, est un des plus beaux dogmes que sa religion lui enseigne ; le maintien de ce dogme dans sa pureté faisait encore au XVIIIe siècle, au temps de la querelle janséniste, l’objet de la célèbre bulle Unigenitus.

En fait et historiquement, la conduite de l’Eglise au IVe siècle s’explique. Après trois siècles de persécutions, comment repousser un triomphe temporel, qui sera le règne de Dieu sur la terre ? « Le bien et le mal peuvent-ils être traités de même ? » N’est-il pas juste de récompenser les fidèles et de punir les impies ? N’est-ce point le premier devoir de l’Empereur et, puisqu’il s’offre à le remplir, ne faut-il point le louer de son zèle et l’encourager ? Au reste, point n’en est besoin ; le prince ne souffrirait pas que l’on discutât son droit d’agir ainsi.