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que l’on nommait tels, chavirât en quelques années, et s’évanouît souvent sans lutte, comme un brouillard du matin qui se dissipe et disparait devant un rayon de soleil ?

Est-ce leur foi d’hier qui n’était pas solide ? Leur incrédulité d’aujourd’hui est-elle plus solide ? N’est-il pas vrai que beaucoup devaient penser ce que quelques-uns ont imprimé, avant que cela ne fût imprimé, et que la foule, qui ne pensait rien du tout, continue à ne pas penser davantage ? Le monde civilisé a-t-il cessé d’être chrétien ? Ne peut-on pas plutôt se demander s’il l’a jamais été dans son ensemble ?

Supposez des chrétiens véritables ; les attaques, les insinuations, les doutes, n’ont pas de prise sur eux. Bossuet n’aurait pas converti Voltaire, mais Voltaire n’aurait pas endoctriné Bossuet.

« Mais, diront les admirateurs systématiques du passé, cette religion de routine et d’écorce, c’est tout ce que l’on peut attendre de la multitude ; tout ignorante que vous la supposiez, c’était en soi une chose bonne ; vous ne prétendez pas que tous les chrétiens soient des mystiques ou des docteurs et, à raffiner ainsi sur la qualité, vous n’allez plus en trouver que quelques milliers sur le sol français. Si cette pieuse armature ne suffisait pas, n’était-ce pas quelque chose et un catholique ne doit-il pas la regretter ? » Je veux bien l’admettre ; mais le fait est qu’une masse a quitté l’Eglise, et que pour la reconquérir et la convertir, l’Eglise ne peut plus compter sur les mêmes concours qui souvent lui avaient été accordés pour la conversion de ses pères. Depuis quinze ou seize cents ans, depuis Constantin jusqu’à Louis XIV, et même jusqu’à Napoléon III, le décret du chef politique avait pu collaborer avec le zèle des missionnaires et les arguments des apologistes.

Au moyen âge, les rois guerriers s’adonnaient à la « conversion » des peuples conquis. C’était une opération rapide et forte en ce temps-là, d’ailleurs peu durable et que l’on recommençait souvent : témoin ces Saxons du temps de Charlemagne qui demandaient le baptême toutes les fois qu’ils éprouvaient le besoin d’avoir une tunique neuve. Ce qui est certain, c’est qu’on ne lèvera plus des « paroissiens » pour le curé, comme on embrigade des conscrits pour le commandant de recrutement, des contribuables pour le percepteur, des justiciables pour le magistrat et des administrés pour le préfet. Et ce qui n’est pas moins