Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’ambiance, la mode si l’on veut, y ont toujours eu grande part.

Le cardinal archevêque de Lyon, fort bien accueilli dans une bourgade qui passait pour antireligieuse, se hasarde à demander au maire pourquoi l’on ne va pas à la messe dans sa commune ; il reçoit cette réponse pleine de philosophie : « Votre Eminence, on n’y va pas parce qu’on n’y va pas ; si on y allait, on irait. » N’est-ce pas au XVIe siècle l’idée de Montaigne lorsqu’il écrivait : « Nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes Périgourdins ou Allemands ; nous nous sommes rencontrés au pays où cette religion était en usage ? » L’ « usage, » en effet, était d’être chrétien, ou du moins de vivre comme si on l’était, en accomplissant plus ou moins les rites du christianisme, comme l’on parlait une certaine langue et que l’on portait un certain habit. Mais jusqu’à quel point l’Evangile était-il demeuré la règle supérieure de vie pour la masse des fidèles ? Jusqu’à quel point adoraient-ils le Père « en esprit et en vérité ? »

Pour apprécier ce que l’on a perdu, il faudrait faire l’inventaire de ce que l’on a possédé, afin d’évaluer l’importance des pertes. Si nous remontons aux premiers siècles de l’Eglise et même aux temps apostoliques, ne voyons-nous pas, dès le début, au sein du troupeau de l’âge héroïque, des tièdes, des révoltés, des hérétiques, des ignorants et des imposteurs ? Dès que la religion devint loi de l’Etat, puissance publique, tout ce que lui amena de fidèles le panurgisme, l’obligation policière, tout cela peut-il compter pour de vrais chrétiens ? On voit bien comment ils se comportent, en majorité, brebis et même pasteurs. Les vrais chrétiens sont les saints, ils sont rares.

Peut-on dire que le Christ ait été aimé, que sa parole ait été crue, comprise et pratiquée par l’universalité des individus qui portaient le nom de « chrétiens, » lesquels auraient tout à coup rejeté en bloc cet amour, cette croyance et ces enseignements ? Ne peut-on pas dire au contraire qu’une partie de cette foule admettait par routine et sans réflexion des dogmes traditionnels, qu’elle conformait fort peu sa vie à sa foi, et que sa foi elle-même avait des fondements très peu solides dans sa raison, — puisqu’il a suffi des réflexions d’un petit nombre d’esprits qui ont osé mettre en écrit leurs doutes ou leur incrédulité, pour que la foi de beaucoup d’hommes qui passaient pour chrétiens et