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du plus grand nombre pour cet organisme religieux. Je dis antipathie et non point indifférence. L’indifférence n’est point querelleuse ; ce n’est pas sur une matière indifférente à la population que l’on peut susciter et entretenir une agitation durable. Pendant les trente années qui ont précédé le divorce final, furent prises une série de mesures ayant toutes pour but d’opérer la scission entre l’ « Evangile » et le « Code, » entre la foi et la loi, entre le fidèle et le citoyen. L’électeur n’était-il donc plus croyant ? Et depuis quand ne l’était-il plus ?

Catholiques, jusqu’à quel point les Français l’étaient-ils hier ? L’histoire religieuse du siècle dernier nous l’apprend. Jusqu’à quel point ne le sont-ils plus aujourd’hui ? L’histoire religieuse des quinze années écoulées depuis la séparation nous l’apprendra. La religion va-t-elle peu à peu disparaître ? Va-t-elle simplement se transformer dans ses ouailles, dans son clergé, dans son gouvernement supérieur, dans son mode de pénétration, dans ses modalités accessoires ? En quoi consistera cette transformation et comment peut-elle s’accomplir ? Il y a bien des manières d’être ou de n’être pas chrétien et nous verrons jusqu’à quel degré les Français actuels le sont, ou ne le sont pas.

On a pu constater qu’au rebours de ce que pensent nombre d’amis de la religion, les Français de 1876, bien qu’élevés tous « chrétiennement, » élisaient des députés qui nourrissaient à l’égard de l’Église des sentiments d’une neutralité plus hostile que bienveillante. Or, trente ans plus tard, la séparation permit de constater que les Français de 1906 étaient beaucoup plus attachés au christianisme que les zélateurs d’irréligion ne se l’étaient figuré et ne voulaient le faire croire.

Sous l’ancien régime, au temps où l’on évaluait dans les statistiques la population rurale d’après le nombre des communiants à Pâques, s’abstenir de cette communion était déjà une déclaration ouverte de « libertinage, » ainsi qu’on nommait au XVIIe siècle ce que nous appelons « libre pensée. » Il y a vingt ans, sous le règne de tel ministre où les fonctionnaires, convaincus d’aller à la messe « avec un livre, » étaient fort mal notés, la simple assistance à cet office du dimanche constituait une audacieuse dévotion. C’est dire que les pratiques religieuses n’ont pas la même valeur indicative à toutes les époques pour nous renseigner sur le for intérieur des consciences ; la routine