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Pershing envoyât six divisions américaines à la 10e armée française et qu’il fit intervenir sa 2e armée Bullard à cheval sur la Moselle, face au Nord. L’offensive est prête ; les troupes sont en place. Soudain, le 11 novembre, au matin, une dépêche du maréchal Foch annonce que l’armistice est signé, et que les hostilités sont arrêtées. Il fallut remettre l’épée au fourreau.

Ce ne fut pas sans quelque impatience et sans quelque irritation secrète de la part de ces nobles troupes, qui se voyaient frustrées de leur vengeance et de leur sûre victoire. Qu’au fond de son âme de soldat le général de Castelnau n’ait pas éprouvé le même sentiment, c’est ce qui serait sans doute peu vraisemblable et peu humain. Mais ce vainqueur a su se vaincre lui-même. Il calme autour de lui les courages émus ; il songe avant tout à toutes ces vies françaises qui vont être épargnées, et, dans son cœur de père, il se réjouit profondément et sincèrement que la défaite allemande ait permis de mettre un terme à ces effroyables hécatombes dont, quatre années durant, il avait si intimement souffert.

Puis, ce fut l’entrée émouvante en Alsace, à Colmar, où le groupe des armées de l’Est aura son quartier général, à Strasbourg, dont Gouraud a déjà pris possession. L’Alsace sait ou devine tout ce que la France doit au grand chef qui lui a sacrifié trois de ses fils : séduite par sa bonhomie, sa franchise, sa hauteur morale, elle lui fait un accueil inoubliable. Et lui qui, seul parmi les officiers généraux du front, a combattu en 1870, comme commandant de compagnie, et qui, aujourd’hui, finit la guerre en qualité de commandant d’un groupe d’armées, heureux de terminer sa carrière militaire « dans le triomphe de son pays, » il aura pour suprême récompense les ovations indescriptibles par lesquelles, au jour de gloire, le peuple de Paris lui témoignera son ardente et respectueuse gratitude. « Ah ! celui-là, disait un ancien soldat, en le saluant à son passage, celui-là, c’était un chef ! »


Ce chef, que la postérité placera dans la noble lignée des plus grands soldats de France, tout à côté des Turenne, des Catinat, des Vauban, ce chef n’a pas cru que la guerre mît un terme à son « service » de bon Français. Il ne voulut pas du repos qui s’offrait à lui et qu’il avait si bien gagné. Resté étonnamment vert et actif d’esprit et d’allures, convaincu que