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n’avaient point été prises : le résultat fut celui que l’on connaît. Il n’était pas pour surprendre le général. Dès le 29 mars, celui-ci rédigeait pour lui-même une de ces longues notes sur la situation générale, comme il en rédigeait de temps à autre pour fixer ses idées et relever le point : les causes du grave échec que nous venions de subir y sont analysées avec une force et une lucidité singulières ; il y insistait sur « la lourde faute, la faute capitale commise par les gouvernements chargés de la conduite de la guerre, qui n’ont pas réalisé l’unité de commandement sur le Iront unique qui s’étend de la mer du Nord à la mer Egée. » A cet égard, il est vrai, les conférences de Doullens lui apportaient une première satisfaction. Mais les Allemands n’en conservaient pas moins leur redoutable supériorité numérique. Ayant horreur de l’optimisme béat, et partant du principe qu’à la guerre il faut toujours prévoir le pire, raisonnant d’ailleurs d’après l’expérience acquise, il estimait que l’Amérique ne pourrait, avant longtemps, constituer une force militaire sérieuse, — une centaine de divisions, — qui put nous permettre de rompre l’équilibre à notre profit, et il pensait que « nous devions envisager une prolongation de la guerre de trois années environ. » Pour abréger ce long délai, il comptait surtout sur les progrès de l’aviation alliée. D’autres facteurs heureusement intervinrent pour hâter le dénouement, et, dès le mois de septembre, il était heureux de pouvoir déclarer que « l’Allemagne avait perdu la guerre. »

Mais, en attendant, elle redoublait ses coups, et les revers succédaient aux revers. Arrêté devant Hazebrouck comme il l’avait été devant Amiens, l’ennemi cherchait à nous surprendre encore. Où allait-il porter maintenant son effort ? Le général de Castelnau s’était fait sur ce point une conviction, qu’il ne réussit pas à faire partager au commandement. Etudiant le 21 mai avec un des chefs les plus avertis du service d’informations, les hypothèses d’attaque et les zones d’attaque probables des Allemands, il en arrivait, « par voie d’élimination, à envisager comme secteur d’attaque très probable la zone entre Reims et l’Oise. » A vrai dire, les faits précis manquaient encore pour étayer cette hypothèse. Mais des informations « particulières, » les 19, 20, 21, 26 mai, vinrent la confirmer. On n’en tint pas grand compte et, favorisés par des fautes locales, les Allemands s’ébranlèrent le 27 mai, emportèrent sans coup férir