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pour Moscou. Il est un peu déçu par tout ce qu’il a vu et appris : il estime qu’à tous égards, les armées russes sont au moins de dix mois en retard sur les armées occidentales, au point de vue des procédés d’attaque et il ne les croit pas capables, dans leur offensive, d’atteindre un résultat décisif. Mais elles pourront certainement retenir devant elles un nombre très appréciable de divisions austro-allemandes ; les succès de Broussiloff ont été dus à la défection, sur l’ordre de leurs comités secrets, de nombreuses unités tchéco-slovaques, — il y a 300 000 Tchéco-slovaques prisonniers en Russie, — mais ils ne se renouvelleront pas. Dans ces conditions, la décision ne s’obtiendra pas sur le front oriental ; il faut la rechercher et l’atteindre sur le front occidental, et la question de l’intervention japonaise se pose plus fortement que jamais.

A Moscou, où la colonie française est très florissante et où les officiers français, envoyés par nous en mission, Taffanel, Frossard, Piot, ont créé de puissantes usines de guerre et, en dépit de mille difficultés, fait une œuvre admirable d’adaptation et d’organisation, le général de Castelnau est accueilli de la façon la plus chaleureuse et la plus touchante. A un diner que lui offre la colonie française, et où un orateur a fait une discrète allusion à ses deuils intimes, il improvise une vibrante réponse : « Oui, Messieurs, nos fils sont morts : vivent nos fils !... Les chefs et les soldats, les soldats et les chefs n’ont fait que leur devoir... Un peuple qui montre un tel héroïsme ne peut mourir : il aura la victoire. » Le lendemain, il repart pour Pétrograd, où il visite un certain nombre d’œuvres françaises, poursuit son enquête, confère longuement avec le général Berthelot, venu de Roumanie, et avec les ministres russes. Ceux-ci lui donnent le conseil de parler au tsar avec la plus entière franchise, et c’est ce qu’il fait dans la nouvelle audience qui lui est accordée le 18 février : nécessité de remédier énergiquement à la crise des transports, sous peine de marcher à une catastrophe, de reconstituer et de revivifier les états-majors, de faire appel à la coopération japonaise ; il insiste fortement sur tous ces points, mais sans grand succès sur le dernier : l’hostilité de la diplomatie russe et anglaise, la mollesse maladroite de la nôtre font avorter ce projet qui, réalisé plus tôt, aurait pu être de si grande conséquence. Puis, après de nouvelles conférences qui achèvent de mettre au point les derniers accords, les diverses