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la 2e armée de réserve, et qui devra d’urgence concentrer ses troupes sur la rive gauche de la Meuse. La proposition est acceptée. Et, ces ordres donnés, les deux chefs se retirent dans leurs appartements respectifs.

Rentré dans son bureau, le général de Castelnau se plonge dans la lecture de ses cartes : elles ne peuvent répondre aux questions anxieuses qu’il se pose. Son parti est pris : il ne se rendra bien compte de la situation que sur place. Il téléphone à l’appartement du général en chef et lui fait demander l’autorisation de partir immédiatement pour Verdun et d’y prendre les mesures que la situation pourrait comporter. L’autorisation est accordée, et « pleins pouvoirs » sont donnés au général. A une heure du matin, dans la nuit glaciale, par une tempête de neige, le vainqueur du Grand-Couronné s’empresse au nouveau rendez-vous impérial.

Vers quatre heures, il est à Avise, au quartier général des armées du Centre. Le général de Langle lui fait part de ses inquiétudes : les troupes refluent, la Meuse est débordée, les ponts sont bombardés ; déjà il a fait évacuer la Woëvre. Très calme, le général de Castelnau prescrit formellement de résister sur les Hauts-de-Meuse, et il lance au général Herr le fameux télégramme : « La défense de la Meuse se fait sur la rive droite ; il ne peut donc être question d’arrêter l’ennemi que sur cette rive. » Puis, à cinq heures, il repart pour Dugny, en passant par Bar-le-Duc et Verdun. « Lorsque, le 25 février, au petit jour, — a-t-il raconté lui-même, — je parvins aux abords du camp retranché de Verdun, je vis, sous un ciel bas et noir, un sol couvert de neige ; la Meuse lugubrement déversait sur toute la surface de la vallée les méandres de son cours ; les passerelles étaient rompues ; les ponts, menacés par les eaux, fiaient sous le bombardement ; la rive droite se trouvait comme isolée du reste du monde et en particulier de la rive gauche, d’où lui parvenaient les secours en vivres et en munitions, pour alimenter la bataille et la population. Celle-ci, sous la froidure d’une pluie glacée, entremêlée de flocons de neige, fuyait en désordre, chargée des objets précieux qu’elle croyait menacés du pillage ; elle piétinait dans la boue, s’acharnant à se frayer un passage sur des routes déjà encombrées de charrettes, de blessés et de convois. » Tragique spectacle dont il ressentit douloureusement l’infinie tristesse. Connaissant mieux que personne