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de tous les perfectionnements susceptibles d’améliorer l’existence matérielle de ses hommes, de toutes les inventions, petites ou grandes, qui lui étaient soumises ; il estimait que, dans cet ordre d’idées, rien ne doit être négligé par un chef soucieux des vies qui lui sont confiées, et ce fut lui par exemple qui patronna, encouragea et finit par imposer les premiers essais de « camouflage. » Reportant sur ses soldats toute la tendresse dont il avait entouré ses fils tués, il souffrait de leurs souffrances, de leurs périls, de leurs angoisses. La parfaite sérénité dont il avait le courage de faire preuve au plus fort de l’action guerrière cachait une profonde émotion intérieure, et « son cœur battait à tout rompre, » quand on l’appelait au téléphone. « On voudrait, écrivait-il, ne rien laisser au hasard, on voudrait se rendre ce témoignage qu’on a tout fait pour assurer le succès, en économisant étroitement, très étroitement la vie de ses hommes ; et dans cet état d’esprit, on est soumis à des inquiétudes, à des scrupules de conscience dont rien ne peut donner l’idée. » Et encore : « Je ne suis certes pas à plaindre : seuls nos troupiers sont dignes de pitié... » — « Je bénirais bien ardemment celui qui trouverait le moyen de chauffer nos hommes dans leurs tranchées... » — « La nuit dernière, le thermomètre marquait — 8°. Quel martyre pour les hommes qui sont dans les tranchées ! » Et il s’ingénie de toutes les manières à adoucir leurs maux, réclamant « à cor et à cri » des gants, des tricots, des poêles, des braseros, parcourant les lignes, les formations sanitaires, encourageant, réconfortant, punissant, éclatant en des « colères terribles » quand il constate dans les hôpitaux ou dans les services du ravitaillement paresse, incurie, coupable négligence. Il n’est pas jusqu’à la bravoure même de ses hommes qui, en le remplissant de fierté, ne lui soit un motif de souffrance : « Nos soldats, nos incomparables soldats, sont restés fermes à leur poste, aimant mieux mourir sur place que lâcher pied. Et ce spectacle, qui tirerait des larmes d’un cœur de pierre, est le plus douloureux qui se puisse rêver pour un chef... » — Au moins pour un chef français, chez lequel une sensibilité généreuse et frémissante s’allie à une puissante volonté, à une vive, lucide et robuste intelligence.

Car, parmi toutes ses préoccupations et ses obligations d’état, il conservait assez de liberté d’esprit pour appliquer sa pensée