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partis aux Etats-Unis. Je ne suis pas surpris que l’observateur du dehors éprouve quelque peine à se reconnaître dans nos querelles et nos disputes de partis ; mais je vais essayer de vous en donner la clef. A prendre les choses en gros, tous les partis d’Europe se répartissent en deux groupes essentiels : le bloc conservateur et le bloc libéral ou radical. Les premiers, dont le nombre va peut-être diminuant, mais qui demeurent puissants encore, veulent maintenir les choses comme elles étaient dans le passé. Les seconds veulent les modifier plus ou moins, dans un sens ou dans l’autre : ce sont les libéraux ou les radicaux.

Ce que je voudrais vous faire saisir, c’est que le parti conservateur, au sens européen du mot, n’existe pas en Amérique. Toutes nos divisions ne portent que sur des nuances qui sont toutes des nuances libérales. Il n’y a pas, par exemple, et il n’y a jamais eu de parti aux Etats-Unis, qui eût soutenu le programme qui fut en Angleterre, il y a une génération, celui d’un Disraeli, parce que ce programme, — bon ou mauvais, n’importe ! — était l’expression de conditions totalement étrangères à la vie et aux idées américaines. En Amérique, les partis commencent là où s’arrête le conservatisme européen. Si l’on ne s’est pas mis cela clairement dans l’esprit, on se trompera fatalement en appliquant le vocabulaire européen à la politique et à la manœuvre des partis en Amérique.


Je voudrais, en terminant, dire quelques mots de certaines tendances, qui sont aujourd’hui universelles, et que l’Amérique partage avec tous les autres pays du monde.

Il y a deux mille cinq cents ans, les penseurs de l’école d’Elée enseignaient que le problème essentiel qui se pose devant l’intelligence humaine, est le problème de l’Un et du Multiple. Il ne s’est rien passé depuis qui soit de nature à nous faire modifier cette vue. Le rapport de l’Un et du Multiple est la question fondamentale en logique, en morale, en religion, en politique. En politique, elle prend la forme du rapport à établir entre l’individu et la collectivité, la masse du peuple organisé, la société, l’Etat. Il y a plus de cent cinquante ans que les philosophes français, puis les chefs de la Révolution, ont donné au monde la formule : Liberté, Egalité, Fraternité. Dans la suite, l’humanité a dû reconnaître partout que Egalité