Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’Amérique ? Ce n’est pas un mouvement d’égoïstes et de solitaires, c’est un acte légitime d’indépendance nationale ; ce n’est pas un signe de lâcheté ou d’indifférence, c’est la preuve que nous sommes prêts à servir selon le génie de la nation. Si l’Amérique se trompe, elle se trompera toute seule et ne s’en prendra de sa faute qu’à elle-même. Mais soyez tranquilles : l’Amérique ne se trompera pas. Le même idéal, la même élévation des âmes, la même noblesse de conscience, le même esprit de sacrifice qui conduisirent l’Amérique à prendre le parti qu’il fallait en 1917, l’amèneraient bien plus vite encore aux côtés de la France, de l’Angleterre ou de la Belgique, si les mêmes dangers étaient à redouter.

On a souvent remarqué que le gouvernement américain se meut avec lenteur et avec difficulté, surtout dans les questions de politique étrangère. Rien de plus vrai ; c’est la rançon d’une des qualités de notre gouvernement que nous tenons pour les plus précieuses. S’il faut blâmer ici quelqu’un, je crains que le blâme ne tombe sur votre illustre compatriote, Montesquieu. C’est ce grand maître qui a enseigné la théorie de la division des pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Cette séparation, inscrite dans notre Constitution, est devenue un des fondements de notre vie politique. Elle a ses défauts. Mais elle a aussi ses avantages, qui, dans l’ensemble, si l’on étudie notre histoire dans le dernier siècle et demi, l’emportent sur les inconvénients. Tout le monde sait qu’en Amérique, comme chez presque tous les peuples, la vie se passe à se quereller (peut-être un peu moins pourtant que chez les anciens Athéniens), mais enfin nous discutons et polémiquons beaucoup, ce qui est d’ailleurs, pour l’éducation de l’esprit public, la condition indispensable. Comment veut-on que cent millions d’hommes se fassent une idée d’un programme politique, si ce programme n’a pas été controversé et débattu, des semaines et des mois avant les élections, pour éclairer leur religion ? Notre lenteur à nous mouvoir s’explique par la concurrence nécessaire qui existe entre l’Exécutif, — en d’autres termes, le Président, — et le Législatif, représenté par les deux Chambres. Il nous arrive de précipiter le mouvement, mais c’est qu’alors il se trouve à la Maison-Blanche un homme d’une personnalité exceptionnelle : avec un Théodore Roosevelt ou un Woodrow Wilson, il ne coûtait rien à l’Exécutif d’enlever vivement le vote des Chambres. Mais