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Si la France, la Belgique, l’Angleterre demeuraient libres, l’Amérique aussi restait libre. Il fallait du temps pour que l’Amérique comprit que l’agression allemande était essentiellement une menace au droit des gens : droit qui est en partie une loi américaine, puisqu’à la deuxième conférence de La Haye, l’Amérique a signé ce code international que l’Allemagne a piétiné en violant la frontière belge, et en accumulant avec une sorte de frénésie les crimes, les attentats et les destructions. Lorsqu’après Liège ce fut Louvain, qu’après Louvain ce fut Reims, et après Reims, Soissons, lorsqu’à tous ces forfaits s’ajoutèrent le Sussex et le Lusitania, alors il ne fut si obtus parmi mes concitoyens qui ne comprit qu’il y avait une bête déchaînée dans le monde et qu’il fallait lui casser les dents. Toutes les nuances de race, d’origine, de parti s’évanouirent, et l’opinion en masse contraignit le gouvernement à prendre sa place à côté des armées et des flottes de France et d’Angleterre.

Ainsi nous avions fini par regarder la guerre comme une guerre américaine. Mais lorsqu’on arriva au règlement de comptes, on se trouva en présence d’une situation si compliquée, si embrouillée, si difficile, que l’opinion en fut profondément troublée. Pour tout dire en deux mots, on s’en tint à la formule que voici. L’Amérique sera toujours prête à répondre à l’appel, toutes les fois qu’il s’agira de défendre le droit, la justice et la liberté, s’ils se trouvaient jamais menacés. Mais elle ne pourra jamais, sans faire violence à sa conscience et à ses traditions, s’engager à appuyer quoi que ce soit qui ait l’apparence d’un Sur-Gouvernement, parce qu’ici la vieille idée enracinée chez nous, ce principe : « Pas d’alliance, pas d’affaires politiques avec aucun pays, fût-ce le plus admiré, fût-ce le plus chéri, » formait un obstacle insurmontable.

Faites-moi l’honneur de m’en croire : l’opinion américaine est saine jusqu’aux moelles. Qu’on apporte des faits à un public américain, il verra clair et jugera droit. Mais il est jaloux de sa force et de son influence et il tient à en rester le maître jusqu’au bout. Jamais il ne sera possible de faire adhérer l’Amérique à un système qui érigerait une puissance ou une abstraction politique au-dessus du gouvernement ou de la constitution du pays, ou qui exercerait un droit quelconque de direction ou de contrôle sur la politique ou sur l’armée. Soyons justes : qui ne comprendrait cette susceptibilité et qui oserait en faire grief