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petites républiques étaient simples, resserrées et d’une population étroitement homogène. Nous connaissons la grande expérience de la démocratie française ; mais, ici encore, cette expérience s’est faite depuis la Révolution par un peuple essentiellement un, de même sang et d’une identité foncière de vues et de culture. En Amérique, les conditions sont radicalement différentes. Nous faisons l’essai de la démocratie sur un territoire gigantesque, divisé par des intérêts économiques très divers et par des oppositions de climat également tranchées ; et sur ce territoire disparate est venu s’établir pour vivre le plus prodigieux amalgame de races qui ait jamais été réuni sous le même gouvernement.

Au temps où l’Amérique commence de s’organiser, ses traditions sont anglaises, espagnoles et françaises : ce sont les idées et la législation anglaises qui prédominent dans la forme de son régime politique. Mais, il y a un siècle environ, commence un étonnant exode, un torrent d’immigration affluant de toutes les parties de l’Europe vers l’Amérique, si bien qu’il ne reste plus rien de la simplicité primitive dans notre constitution sociale, politique ou morale, et qu’à la place on trouve un enchevêtrement de nouveaux éléments, anglo-saxons, latins, germaniques, scandinaves, slaves, juifs. De tous les points de l’univers, ces éléments sont venus participer en égaux à l’interprétation et au maintien de nos lois, et en un mot à toute la vie de leur nouvelle patrie.

Un exemple fera comprendre la nature et la portée de ce phénomène. Il y a quarante ans, le centre de l’Europe émigrante se trouvait à peu près à Anvers : ce qui veut dire qu’à ce moment il partait chaque année autant d’immigrants de l’Allemagne du Nord, des pays scandinaves, de la Grande-Bretagne et de la France, que de tout le reste de l’Europe. Aujourd’hui ce point s’est déplacé en traversant toute l’Europe et peut se situer approximativement quelque part vers le Sud-Est de Buda-Pest : ce qui signifie qu’à présent le nombre des immigrants finlandais, russes, polonais, hongrois, balkaniques ou Italiens du Sud, est égal à celui qui part du Nord et de l’Ouest de l’Europe.

Si l’on songe que ce contingent du Nord et de l’Ouest de l’Europe sort d’un fonds humain qui a derrière lui dix siècles d’habitudes et d’éducation politiques, on comprend quel bouleversement s’est produit dans l’équilibre de l’Amérique le jour où