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porte du jardin, et, pour le grand adieu, je baise sa main gantée. Avant qu’elle ait rabaissé son voile, j’aperçois que ses yeux sont pleins de larmes.


Jeudi 20 octobre.

A Stamboul pour la dernière fois, — mon départ ayant lieu dans trois jours, — et je me trouve aujourd’hui dans une ville déjà presque hivernale, sous un triste ciel.

Il a pris, lui aussi, son air sombre de l’hiver, mon petit quartier tant aimé de Mahmoud-Pacha, et, devant les cafés turcs, sous les grands arbres qui s’effeuillent, seuls, deux ou trois vieillards en caftan de fourrure, persistent à se tenir encore ; peut-être essaient-ils, ces vieillards, de se prolonger l’illusion des beaux jours, car ils ne verront plus beaucoup d’étés.

Au crépuscule, une rafale de vent du Nord se lève et me chasse.


Samedi 22 octobre.

Il fait doux, presque chaud, et l’on dirait que l’été est revenu, pour mon dernier soir d’Ortakeui.

Je sens l’inévitable angoisse des départs, des choses qui vont finir sans retour. J’aurais dû le prévoir : déjà je me suis attaché à cette demeure, à ce vieux jardin, où j’ai langui et souffert si longtemps. Je dis adieu aux allées désuètes, le long desquelles sont morts les dahlias et les asters.

Le chat gris de ma voisine la Sultane saute le mur bas, pour me tenir compagnie, comme il le faisait quand j’étais malade. Je l’appelle et il arrive, très câlin, pour se faire caresser une dernière fois.

Après le souper, je veux revoir cet humble café turc de la rive d’Ortakeui, où la fumée des narguilhés a terni, avec le temps, les pieuses inscriptions musulmanes accrochées aux murs, et je descends, par la belle nuit tiède, jusqu’aux eaux du Bosphore qui ont pris, encore une fois, comme naguère toutes les nuits d’été, leur tranquillité de miroir.

Quelqu’un me court après, dans l’obscurité ; je devine que c’est l’un des Croates de la maison, Aleko, ou son frère Niko, que le Consul, dans sa sollicitude inquiète, envoie pour m’escorter,