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Mercredi 19 octobre.

Depuis hier cependant, la vieille dame de Smyrne, que je cherchais anxieusement, était arrivée à Stamboul, des amis turcs me l’avaient affirmé, et je tirais des plans hérissés de dangers pour obtenir une entrevue. Ce qui compliquait encore toutes choses, c’est qu’elle ne savait pas un mot de français. Je m’étais donc ouvert de ces difficultés à mon fidèle Djemil, — l’homme à la fois le plus téméraire, et le plus habile et le plus rusé de Constantinople.

— Non, m’avait-il répondu, toi, ne va pas à Stamboul la chercher, cela donnerait l’éveil dans son quartier, tu comprends... J’irai, moi... Tout de suite même, je vais y aller... Le temps seulement de mettre mon beau costume rouge, et je descends louer une belle voiture en bas, sur la place de la mosquée, pour me mettre en route. C’est à peine s’il est dix heures du matin ; à deux heures, au plus tard, je te la ramène... Aie confiance en Djemil, tu sais qu’il ne te trompe jamais !...

« A deux heures, au plus tard, » avait-il dit. Et voici bientôt quatre heures, il n’a pas encore reparu ! Quel enfantillage de ma part d’avoir ajouté foi à la possibilité de cette invraisemblable petite aventure !

Quatre heures et demie ; le jour commence à baisser et déjà le froid tombe.

— Les voilà qui arrivent ! vient me dire en courant le Croate Aleko. Ils sont descendus de voiture au bas des escaliers de la rue, et ils montent à pied, en se dépêchant comme s’ils étaient très pressés !

En effet, je les aperçois là-bas : un grand bonhomme rouge et or, qui monte à longues enjambées, et, toute petite, trottinant auprès de lui, une dame turque, enveloppée dans un tcharchaf en soie couleur puce « ce qui est la couleur des vieilles dames, là-bas comme chez nous), gantée de blanc et la tournure encore élégante. Mais pourquoi se presse-t-elle tant que ça t pourquoi cette hâte de me revoir ?

— Je te prie, Aleko, va au-devant d’eux ; tout de suite, amène-moi la dame ici, ne la fais pas attendre.

Je tremble un peu, à l’idée que je vais enfin savoir. Déjà dans l’escalier j’entends monter ses pas... Et la voici qui entre