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me fais conduire dans quelqu’un des villages turcs de la rive d’Europe, pour jouir au moins d’être encore pour quelques jours en Turquie.

Je fume mes derniers narguilhés, au soleil qui pâlit, devant les petits cafés de plus en plus solitaires. Des teintes d’automne sont partout et souvent, dans le ciel, roulent de gros nuages sombres... Combien, cette fois, il va finir d’une façon imprévue, mon séjour dans le cher Orient !

A l’heure où le veilleur du quartier commence à frapper de son bâton ferré les pavés sonores, l’envie de m’évader me prend quelquefois. Si la nuit est belle et douce, je descends la rue de pentes roides et d’escaliers, entre la maison de la Sultane veuve et celle de l’Exarque des Bulgares, pour aller jusqu’à la petite place calme et religieuse, au bord de l’eau, autour de la mosquée. Le Consul, qui ne sait pas combien j’ai été, dans mon temps, un noctambule invétéré de Stamboul, a la bonté de s’inquiéter de me savoir seul dans ces promenades nocturnes, et bientôt j’entends, derrière moi, un pas jeune accourir dans l’obscurité, descendre quatre à quatre les marches de la rue solitaire : c’est l’un des Croates, Niko ou son frère Aleko, que mon hôte envoie me rejoindre et m’accompagner.

Mais les petits cafés de rêveurs ont fermé leurs vitres. Le vent est devenu aigre et froid. On ne fume plus dehors, il faut prendre place, maintenant, à l’intérieur, entre les silencieux bonshommes à turban, dans l’atmosphère alourdie par l’odeur des narguilhés. Les humbles murailles, auxquelles pendent les vieux ustensiles de cuivre, sont ornées de mille petits cadres d’or fané qui entourent des inscriptions sacrées, des versets du Coran.

Dans ces lieux que ne fréquentent pas les Européens, on est si loin du monde moderne, loin de tout !

Ensuite, quand il s’agit de remonter la pente des rues jusqu’à la maison du Consul, mon état de convalescent se rappelle à moi par une inexorable lassitude que j’avais un instant oubliée...


Lundi 17 octobre.

Je vais décidément mieux, la vieillesse et la mort semblent s’éloigner encore une fois et m’accorder un temps de grâce.

Ma longue fièvre et ma quasi séquestration à Ortakeui avaient interrompu mes difficiles recherches pour retrouver,