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celle de l’Exarque des Bulgares, et la vue s’étend de tous côtés, sur les villages et les mosquées de la rive, sur le Bosphore et sur la côte d’Asie. Les feux s’allument dans le noir de la soirée automnale ; le vent se lève, chassant des nuages de ténèbres, on l’entend siffler partout à travers la vieille maison de bois toute déjetée. On entend aussi les muezzins chanter la prière du soir, et puis les veilleurs de nuit qui ont conservé l’usage ancien, dans ce vieux faubourg, de frapper les pavés, avec la pointe de fer de leur bâton.

On se sent bien en Orient encore ; mais c’est de l’Orient si triste, de l’Orient d’automne, de soir, de déclin et de mort.


Samedi 8 octobre.

A Ortakeui toujours. Le paquebot qui devait enfin m’emmener en France, a été abordé et coulé dans la Mer-Noire. Je suis donc forcé de retarder mon départ, de rester quinze jours encore dans cette sévère retraite d’Ortakeui, où je tremble d’être bloqué par l’hiver.


Dimanche 16 octobre.

Dans la vielle maison du passé que j’habite, se sont conservées les traditions d’autrefois et le dimanche on y observe un repos patriarcal ; ce jour-là est d’un calme infiniment nostalgique.

C’est aussi l’après-midi du dimanche que les religieuses de l’hôpital français ont adopté pour faire leur visite de chaque semaine au Consul. Vers deux heures, sœur Jeanne, la Supérieure, arrive avec deux autres bonnes sœurs subalternes, qu’elle conduit comme en promenade enfantine. Sœur Jeanne vient s’asseoir près de moi, dans mon abri, au bout du jardin, et nous regardons de haut le défilé des navires sur le Bosphore ; ce défilé auquel j’avais si souvent pris part jadis à bord des bateaux de guerre et que je regarde maintenant comme si je n’étais plus de ce monde.

La mosquée d’Ortakeui, directement au-dessous de nous, tout près de l’eau, nous occupe beaucoup, elle aussi, sœur Jeanne et moi. Un tremblement de terre avait renversé un de ses deux minarets plus aigus que des flèches, et, assise par assise, des ouvriers, spéciaux pour minarets, le reconstruisent avec lenteur ; nous observons donc, pour nous distraire, de combien