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hôtel de Péra pour être plus près de moi. Sous ma dictée, je lui ai fait écrire mes instructions en cas de mort.

Kemal bey, le gentil officier qui m’avait loué sa demeure, est venu m’avertir qu’il allait la reprendre pour y habiter avec sa mère ; il faut que je fasse enlever tout ce qui m’appartient, dans cette installation éphémère organisée en août, avec une joie enfantine. Donc, même si je me guéris, je n’habiterai plus Stamboul.

Mais j’étouffe ici et j’ai accepté, bien malade encore, l’hospitalité que m’offre le Consul général de France, dans sa maison de campagne qui domine le Bosphore, du haut de la colline d’Ortakeui. Ce soir, au déclin du jour, on m’emmènera là-bas, avec mon fils et Osman, auxquels le Consul donne aussi l’hospitalité.


Samedi 1er octobre.

Ortakeui, chez le Consul de France, dans sa maison où il m’a recueilli comme une épave !

Le Consul part chaque matin pour Constantinople avant mon lever, ne rentre qu’à sept heures du soir. Mon fils et moi, nous déjeunons en tête à tête dans la salle à manger où des capucines mourantes et des liserons d’un incomparable bleu enlacent les barreaux des fenêtres. Ensuite, mon fils va se promener à Stamboul, ou bien sûr la côte d’Asie, en compagnie d’Osman, et je reste seul tout le jour, enveloppé d’un manteau, sur un fauteuil, dans une sorte d’abri de planches, au bout du grand jardin. De là, je regarde finir l’été, finir l’Orient, finir ma vie ; c’est le déclin de tout...

Le charme de la demeure du Consul est sa vieillesse et sa paix ; une très antique maison de bois en style d’Orient. Ce jardin, où je traîne mes jours de malade, est une sorte de très grande et très longue terrasse, à une trentaine de mètres au-dessus du Bosphore. Les allées sont droites, à la mode ancienne ; les fleurs sont de vieilles fleurs de France : des dahlias, des asters d’automne, de petits chrysanthèmes. Il y a aussi des arbres fruitiers, des carrés de légumes et, dans les parties incultes, sous toutes les pierres, dorment des scorpions. Tout au bout de ce vieux jardin à l’air si campagnard, il y a l’abri, où maintenant je passe mes jours.

Par-dessus le mur bas qui sert de clôture à mon jardin, je