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la tombe et le grand décor d’alentour, je veux que cela reste fixé dans mes yeux jusqu’à la mort...

Quand je rejoins mon fils et Osman, je les trouve accroupis tous deux, s’amusant comme deux enfants, avec une tortue tellement énorme que jamais nous n’avions vu la pareille : elle doit avoir deux ou trois cents ans pour le moins. Elle est étrange, cette bête de cimetière, qui a vécu là, depuis les temps reculés de l’Islam, sous les sultans magnifiques de jadis et qui vit encore sa vie à peine consciente, au milieu de ces délabrements et de ces silences de la fin...

Le soir, après le canon du Ramazan, quand les musiques orientales recommencent d’emplir Stamboul, j’essaie encore d’aller m’asseoir devant un des petits cafés familiers, sous les platanes, parmi les rêveurs à turban. Mais la fièvre m’accable, je ne tiens plus...


Jeudi 14 septembre.

Malgré mon regret profond de quitter encore Stamboul, je suis obligé de retourner ce matin à l’hôpital, avec une fièvre beaucoup plus forte et que, tout de suite, les médecins trouvent grave.

Avant de partir, avec le sentiment très net que je ne reviendrai plus, je jette un coup d’œil d’adieu sur toute ma maison clandestine, dans laquelle mon rêve de turquerie aura été si éphémère. Puis je monte sur la terrasse, dire adieu aux vieux jardinets enclos où se promènent les humbles vieillards à turban et à barbe blanche, dire adieu à la forêt des minarets blancs, qui, là-bas sur la Pointe du Sérail, s’en vont dévalant vers les lointains bleus de la Marmara. Non, certes, je le sens bien, je ne reviendrai plus dans cette maison.

Et une voiture m’emmène là-bas, à l’hôpital. Jamais de ma vie, je crois, je n’avais eu une fièvre aussi brûlante, même à la côte de Guinée, pendant les insolations de l’été africain.


Mercredi 28 septembre.

Déjà près de quinze sinistres jours passés dans cet hôpital. Oh ! les affreux réveils du matin après les nuits de fièvre ! Qu’est-ce que j’ai ? Les médecins n’en savent rien, n’y comprennent rien !...

Mon fils a dû banalement prendre une chambre dans un