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dalles. Nous passons tranquilles, sans éveiller l’attention, dans ce lieu dont la paix si profonde est presque oppressante et nous arrivons devant le kiosque où dort le Saint Eyoub. Nous nous arrêtons pour regarder le tombeau, à travers la grille de bronze ciselé de l’une des fenêtres. L’intérieur de ce kiosque, un peu en contre-bas de la cour ombreuse, est occupé presque entièrement par le grand catafalque couvert de soie lamée d’or éteint et que surmonte un énorme turban. Tout autour, scintillent les murs couverts de faïences très anciennes, aux dessins du plus beau ronge, de ce rougi de rubis dont le secret est perdu depuis trois siècles. Enfermé près du catafalque, nous tournant le dos, un vieux hodja, assis sur les nattes, lit le Coran dans un précieux manuscrit sur parchemin à enluminures d’or. Peut-être nous nous attardons trop à regarder toutes ces choses, car le vieux hodja, comme s’il avait flairé des infidèles, se retourne brusquement vers nous et nous dévisage d’un air méfiant qui tout à coup nous fait peur ; le sentiment nous vient, plus pénible, d’être des intrus qui profanons un lieu saint. Il ne nous faut cependant pas sembler inquiets, ce qui tout de suite donnerait l’éveil, et nous nous en allons, sans nous presser, en égrenant nos chapelets.

Au sortir de la dernière cour, quand je referme sur nous la petite barrière, jadis considérée par moi comme infranchissable, et que nous nous trouvons enfin dans l’avenue de marbre blanc des Cheiks-Ul-Islam, qui, elle, est permise à tout le monde, j’éprouve un soulagement de ce que mon fils ait pu quitter sans bagarre ce lieu si défendu.

Le soir, à la nuit close, malgré la fièvre qui de nouveau m’alourdit et me brûle, je vais m’asseoir, avec mon fils et Osman, sur la place de Mahmoud-Pacha qui nous est redevenue si familière — et devant la mosquée, dans un humble café, nous demandons des narguilhés.

Parce que nous sommes en Ramazan, il y a foule plus que de coutume pour la prière du soir, à la porte ogivale de ce vieux sanctuaire de Mahmoud-Pacha ; tous les minarets d’alentour, il va sans dire, ont dans le ciel leurs couronnes de feux, et en outre, d’archaïques lanternes ont été accrochées çà toutes ces vénérables stèles funéraires qui çà et là se dressent, en petits groupes amis, au milieu des tables des fumeurs, comme pour se mêler de plus près aux vivants. Oh ! nullement agressifs, ces petits