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Mardi 6 septembre.

Je m’habille et prépare ma valise pour l’hôpital. Jusqu’à nouvel ordre, mon fils et Osman resteront ici, servis par Djemil.

Long trajet en voiture pour passer sur l’autre rive de la Corne d’Or, monter à Péra et enfin arriver au Taxim, autant dire aller dans un monde tout différent.

A 11 heures, je suis à l’hôpital, où me reçoit la bonne sœur Jeanne, qui, me trouvant si brûlant, tout de suite me fait coucher.


Mercredi 7 septembre.

L’hôpital du Taxim ! Retrouvé sœur Jeanne, sœur Pauline et son chat Michu, et la même chambre où j’ai langui déjà un mois, pendant les neiges de l’hiver, il y a six ans, lors de l’épidémie de grippe qui coucha sur le flanc plus de la moitié de mon équipage. Rien n’a changé ici et la même horloge sonne, la nuit, ses coups lugubres.


Vendredi 9 septembre.

Je suis sorti de l’hôpital ce matin, avec encore un peu de fièvre, — qui va passer, disent les médecins. Oh ! la joie de retrouver ma maisonnette au cœur de Stamboul !

Je conduis mon fils à Eyoub. Depuis son premier voyage en Turquie, depuis six ans, c’était son rêve de voir les silencieuses cours de la mosquée d’Eyoub, le lieu le plus sacré de Constantinople, le seul qui soit encore jalousement interdit aux étrangers. Jusqu’ici, j’avais toujours refusé à mon fils de l’amener là, car cela me faisait encore un peu peur.

Pour nous donner davantage l’air de gens du pays, j’ai jugé prudent d’arriver à Eyoub par les grands cimetières et d’aborder l’enceinte de la mosquée par le côté opposé à la Corne d’Or.

Coiffés de fez et nos chapelets à la main comme de bons Turcs, nous ouvrons le petit portail qui clôt les saintes cours et maintenant nous voici au milieu de la nuit verte des hauts cyprès et des larges platanes dont on ne sait plus l’âge. Là, sous de vénérables stèles à turban de pierre, dorment des compagnons de Mahomet II, dans ce vaste enclos de silence, dont les murs sont garnis de vieilles faïences à fleurs bleues. Quelques pieux vieillards sont accroupis en prière, tandis que des pigeons et des cigognes se promènent familièrement autour d’eux, sur les