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la guerre, il a lu quelques-unes des belles pages dont MM. Jérôme et Jean Tharaud ont donné la primeur aux lecteurs de la Revue. Et sans doute, il est maintenant établi qu’à la première heure, le comte Tisza a conseillé à la monarchie dualiste de ne pas recourir immédiatement contre la Serbie à une action militaire ; mais, dès qu’il a vu que ses avis n’étaient pas écoutés, il a suivi, les yeux fermés, le mouvement qui entraînait l’Empire. Il y avait longtemps, du reste, que la Hongrie n’était plus la nation libérale et francophile qu’a dépeinte M. de Monzie. C’étaient ses hommes d’État, tels qu’Andrassy, qui l’avaient attachée au char de la triple Alliance ; c’étaient eux qui avaient poussé le baron d’Æhrenthal à déchirer le traité de Berlin et à annexer la Bosnie et l’Herzégovine ; c’étaient eux qui avaient soumis à une dictature intolérable les populations allogènes de la Transleithanie et qui avaient ainsi rendu instable l’équilibre de la monarchie. Il n’est pas de sentiment plus généreux que la pitié envers les vaincus ; et certes, ni le Président du Conseil, ni le rapporteur du Traité, M. Reynald, n’ont ménagé à la Hongrie les témoignages de sympathie, mais l’un et l’autre ont, en même temps, prié le Sénat de songer aux peuples que les Magyars avaient opprimés et qui, aujourd’hui libérés, sont devenus nos amis et nos alliés.

M. Reynald a parfaitement montré la pression lente et continue à laquelle a cédé le cadre politique et administratif de l’empire austro-hongrois, jusqu’à l’heure où s’est produit l’éclatement final. Il a rappelé le mot de l’empereur François II : « Mes peuples sont étrangers les uns aux autres, et c’est tant mieux. Ils ne prennent pas les mêmes maladies en même temps. Je mets des Hongrois en Italie et des Italiens en Hongrie ; chacun garde son voisin ; ils ne se comprennent pas et se détestent ; de leur antipathie naît l’ordre et de leur haine réciproque la paix générale. » Il a également cité ce piquant propos d’un collaborateur fidèle de l’empereur François-Joseph, le comte Taaffe : « Pour que l’Autriche soit bien gouvernée, il faut que personne ne soit content. » Ce n’est pas hier, a dit M. Reynald, que les esprits clairvoyants ont dénoncé les périls de ce système. Dès le 15 août 1814, Joseph de Maistre qualifiait la maison d’Autriche de grande ennemie du genre humain et, en 1832, Montalembert l’appelait, à son tour, la prêtresse de l’oppression. Quoi d’étonnant à ce que, faute d’avoir, en temps utile, donné quelques libertés aux nationalités diverses dont il était composé, l’Empire austro-hongrois ait sombré dans la défaite ?

M. Briand a complété, avec un art prestigieux, la démonstration