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M. André Hallays l’a menée aux abords de Port-Royal, où elle ne fut qu’en visite ou en promenade. Elle n’aimait pas du tout les jésuites, malgré l’admiration qu’elle avait pour le Père Bourdaloue : mais elle n’était pas du tout janséniste...

J’aurais voulu qu’à son livre charmant M. André Hallays ajoutât un dernier chapitre où, dépassant les dehors, — si attrayants, si amusants, — de Mme de Sévigné, il eût taché d’aller, je ne dis point jusqu’à son âme, car il l’a fait et fort bien, mais jusqu’au tréfonds de son âme, qui n’était point aussi badine qu’on se la figure.

Jules Lemaitre, qui lui préférait Mme de La Fayette, l’a plaisamment appelée « cette grosse mère-la-joie, qui fut, à certaines minutes, je le crois, une mère de douleur... » Cette grosse mère-la-joie écrivait à sa fille, et non pas très tard, en 1672 : « Vous me demandez si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort. Je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle que, si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux. Je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme, et comment en sortirai-je ?... Je m’abime dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène que par les épines que j’y rencontre. Vous me direz que je veux vivre éternellement ? Point du tout. Mais, si on m’avait demandé mon avis, j’aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice : cela m’aurait ôté bien des ennuis et m’aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément. » On lui conseillait de suivre le proverbe et d’ « avoir la robe selon le froid ; » mais elle répondait bonnement qu’elle n’avait pas tant de robes et n’en avait pas une pour le froid que lui donnaient divers chagrins. Elle ajoutait : « Cependant je m’amuse, et le temps passe toujours... » En commentant ces passages et d’autres qu’on trouverait dans ses lettres les moins célèbres, on arriverait à ce tréfonds que je disais de l’âme de Mme de Sévigné, où il y a de la rêverie, de la méditation, de la durée, pourquoi Joubert disait que Mme de Sévigné lui était toutes choses.


ANDRE BEAUNIER.