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ne vit pas tout à fait selon l’évangile. Que manque-t-il ? une véritable ferveur et le constant sacrifice de la vie présente à la vie future : c’est à cause du divertissement que donne le monde. Les conversions qui à cette époque furent si nombreuses ne marquent pas un retour à la foi proprement dite et comme on l’entendrait aujourd’hui d’un sceptique ou d’un libertin qui renonce à être mécréant : le converti prend à la lettre une croyance qu’il avait déjà, qu’il traitait à la légère et il fait abnégation désormais de toutes choses en vue de sauver son âme.

Mme de Sévigné n’est point, aux yeux du monde, une grande pécheresse. Elle écrit cependant : « Une de mes grandes envies, c’est d’être dévote... Je ne suis ni à Dieu ni au diable : cet état m’ennuie, quoiqu’entre nous je le trouve le plus naturel du monde. On n’est point au diable, parce qu’on craint Dieu et qu’au fond on a un principe de religion ; on n’est point à Dieu aussi, parce que sa loi est dure et qu’on n’aime point à se détruire soi-même. Cela compose les tièdes, dont le grand nombre ne m’inquiète pas du tout : j’entre dans leurs raisons. Cependant, Dieu les hait : il faut donc en sortir, voilà la difficulté. » Elle n’entre pas volontiers dans les querelles religieuses qui, autour d’elle, excitent beaucoup de zèle. Le formulaire que l’on exige que signent les religieuses de Port-Royal, et qui est une grande affaire, elle l’appelle « ce diantre de formulaire. » A son avis, on fait trop de bruit là-dessus : elle en « mourrait de rire. » Et elle écrit : « Je crois que le milieu de ces extrémités est toujours le meilleur. » Elle le croit et, à certains moments, elle se demande si elle a raison de le croire.

Elle est morte en bonne chrétienne. Son gendre, qui l’a vue à ses derniers moments, écrivait au président de Moulceau : « Elle a envisagé, dès les premiers jours de sa maladie, la mort avec une fermeté et une soumission étonnantes. Cette femme si faible et si tendre pour tout ce qu’elle aimait n’a trouvé que du courage et de la religion quand elle a cru ne devoir songer qu’à elle. » Remarquez-le : ces lignes du comte de Grignan sont tout à fait analogues aux remontrances que le bonhomme adressait à Mme de Sévigné. L’on dirait qu’à la veille de mourir elle s’est souvenue de ces remontrances. Le bonhomme lui reprochait de pousser jusqu’à une idolâtrie dangereuse l’amour de sa fille : M. de Grignan note qu’elle était « si faible et si tendre » et que sa faiblesse tendre la détournait du salut. Le bonhomme lui commandait de songer à elle : M. de Grignan dit que c’est ce qu’elle a fait, à la veille de mourir.