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elle est un peu étourdie de la majesté royale. Et Mme de Sévigné en province : elle y est délicieuse de bonhomie et de naïveté maligne.

Enfin, M. André Hallays conduit Mme de Sévigné aux abords de Port-Royal ; et ce lui est l’occasion de réunir ses deux principales tendresses, Port-Royal et Mme de Sévigné. Elle écrivait : « Ce Port- Royal est une Thébaïde ; c’est le paradis ; c’est un désert où toute la dévotion du christianisme s’est rangée ; c’est une sainteté répandue dans tout ce pays à une lieue à la ronde. Il y a cinq ou six solitaires qu’on ne connaît point, qui vivent comme les pénitents de saint Jean Climaque. Les religieuses sont des anges sur terre. Tout ce qui les sert, jusqu’aux charretiers, aux bergers, aux ouvriers, tout est saint, tout est modeste. Je vous avoue que j’ai été ravie de voir cette divine solitude, dont j’avais tant ouï parler ; c’est un vallon affreux, tout propre à faire son salut. » Mme de Sévigné voit ainsi Port-Royal, en passant, à la promenade. Elle y aperçoit furtivement une perfection qu’elle admire et à laquelle, d’ailleurs, elle ne prétend pas. Et M. Hallays, qui a cité ce passage où apparaît Port-Royal tel que l’ont décrit — comme ils l’ont pu — les pèlerins de ce lieu sans pareil, au temps des solitaires, résume ensuite son idée de Port-Royal en quelques pages, trop longues pour que je les cite et qui sont parmi les belles pages d’un écrivain de notre temps.

Mme de Sévigné avait quelques attaches de famille avec le monastère : la bienheureuse mère de Chantal ne faisait pas de voyage à Paris sans passer quelques jours auprès de la mère Angélique. En outre, Mme de Sévigné avait une vénération particulière pour le vieil Arnauld, qu’elle appelait néanmoins « le bonhomme » et qu’elle accusait, pour le taquiner, « d’avoir plus envie de sauver une âme qui est dans un beau corps qu’une autre. » Un jour qu’elle dînait à Pomponne, elle rencontre le cher bonhomme et le trouve « dans une augmentation de piété » qu’elle admire ; le bonhomme s’épure en approchant de la mort. Elle écrit à sa fille : « Il me gronda très sérieusement et, transporté de zèle et d’amitié pour moi, il me dit que j’étais folle de ne point songer à me convertir, que j’étais une jolie païenne, que je faisais de vous une idole dans mon cœur, que cette sorte d’idolâtrie était aussi dangereuse qu’une autre, quoiqu’elle parût moins criminelle, qu’enfin je songeasse à moi. Il me dit tout cela si fortement que je n’avais pas le mot à dire... » Mme de Sévigné se convertir ? Ce n’est pas qu’elle se fût jamais éloignée de la croyance ni de la pratique religieuse ; il ne semble pas qu’elle ait eu aucun doute. Mais elle vivait dans le monde, où l’on avouait alors que l’on