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à la dame du château leurs talents. Il y a parmi eux une petite danseuse, à qui Mme de Sévigné s’intéresse et qui a un grand-père en Provence ; où donc, en Provence ? à Marseille. Il est aux galères. Et Mme de Sévigné promet d’écrire à M. de Vivonne, général des galères, qui voudra bien relâcher un peu les fers de ce pauvre homme.

Les amis bretons de Mme de Sévigné sont quelquefois de singuliers personnages. L’un des meilleurs est M. de Pomenars, un coquin, marquis cependant. Mme de Sévigné lui aurait voulu deux têtes, ou une tête de rechange, disant : « Jamais la sienne n’ira jusqu’au bout ! » M. de Pomenars était en querelle avec la justice du Roi, pour divers délits ou crimes, des enlèvements de jeunes filles et la fabrique de la fausse monnaie. Par ailleurs, des talents, de la conversation : Mme de Sévigné se plaisait en sa compagnie. M. de Pomenars ne mourut pas sur l’échafaud ; mais il eut la pierre et, devant que d’être taillé, il put se confesser à Bourdaloue : « Ah ! c’était une belle confession que celle-là ! Il y fut quatre heures. » Au surplus, quatre heures, pour raconter les péchés de toute une vie, est-ce beaucoup ?

Un tel chenapan : l’on dira que Mme de Sévigné ne fut pas bien sévère dans le choix de ses relations. Elle ne le fut jamais. Son Corbinelli n’est pas un homme à qui l’on n’ait absolument rien à reprocher. Et Fouquet ? Et Gourville ? Et Langlée ! D’autres encore. Elle n’était pas du tout pharisienne ; à cette époque, on n’était pas du tout pharisien : le pharisaïsme est une mode plus récente. Mme de Sévigné recherchait les gens qui l’amusaient davantage et eut toujours autour d’elle un joli choix d’originaux. Voici l’un de ceux qu’elle trouva en Bretagne, M. d’Harouys : « Je l’aime et je me divertis à l’observer. Je voudrais que vous vissiez cet esprit supérieur à toutes les choses qui font l’occupation des autres, cette humeur douce et bienfaisante, cette âme aussi grande que celle de M. de Turenne... » M. d’Harouys, que Mme de Sévigné compare à M. de Turenne, avait la charge de trésorier des États de Bretagne. Il avait aussi la rage de faire plaisir à tout le monde : ce n’est pas le premier devoir d’un trésorier. Tout le monde s’adressait à M. d’Harouys et lui demandait, par exemple, de l’argent. Il en donnait. Mme de Sévigné lui en demanda, en obtint facilement et, sur la dot de sa belle-fille, rendit ce qu’elle avait reçu. M. d’Harouys donnait à lui-même et se fit bâtir le magnifique château de la Seilleraye : cette année-là, il fut en déficit de neuf cent mille livres ; on le sauva. Huit ans plus tard, il ne put rendre ses comptes : il devait plus de six