Grignan : des aventuriers, des épées, des chapeaux de bel air ; des gens faits à peindre une idée de guerre, de roman, d’embarquement, d’aventure, de chaînes, de fers, d’esclaves, de servitude, de captivité. Moi qui aime les romans, tout cela me ravit ; je suis transportée. » L’on feint pourtant de croire que les écrivains romantiques ont inventé le pittoresque, et les écrivains réalistes la vérité !...
M. André Hallays note, d’ailleurs, que Mme de Sévigné, en prenant de l’âge, apprécia de mieux en mieux la Provence : pour chauffer ses rhumatismes, il n’est que le bon soleil. Et l’on faisait bonne chère, à Grignan. Mme de Sévigné se connaissait en gourmandise : un peu tard dans la vie, l’on dédaigne de moins en moins ce péché. Elle a célébré les perdreaux de Grignan, « nourris de thym, de marjolaine et de tout ce qui fait le parfum de nos sachets, » les cailles de Grignan, grasses à point et « dont il faut que la cuisse se sépare du corps à la première semonce, » les melons de Grignan, les figues sucrées, les muscats analogues « à des grains d’ambre que l’on peut croquer. » Mme de Sévigné n’est pas futile au point de juger un paysage sans parler de la chère qu’on s’y procure.
Elle a passé beaucoup plus de temps aux Rochers. M. André Hallays n’a point manqué de l’aller voir en Bretagne, de visiter son château, ses bois, ses terres et les châteaux des voisins. Il les a décrits avec la plus exacte poésie. Et il nous la montre, au cours des journées d’une vie « toute médiocre, toute simple et toute solitaire. » Elle ne s’ennuie pas : elle est trop amusante pour n’être pas amusée d’elle-même. Elle lit, des romans ou des livres dévots ; les uns et les autres la divertissent. Elle a de fortes causeries avec Pilois, son jardinier, qu’elle appelle son favori et qui l’intéresse plus que bien des seigneurs Flers de s’intituler chevaliers au Parlement de Rennes. Pilois et elle dessinent des allées, tracent le plan d’un labyrinthe et cherchent l’emplacement de petits abris contre la pluie qu’elle a résolu de bâtir. Elle est, le matin, dans la rosée jusqu’à mi-jambe, pour faire des alignements. L’on abat de grands arbres : « Le tracas que cela fait représente au naturel des tapisseries où l’on peint les ouvrages de l’hiver : des arbres qu’on abat, des gens qui scient, d’autres qui font des bûches, d’autres qui chargent une charrette, et moi au milieu, voilà le tableau. » Elle est, aux Rochers, une paysanne qui vient de la ville : et la campagne lui rappelle tout d’abord une œuvre d’art, une tapisserie pendue au mur d’un beau salon parisien.
Quelquefois surviennent des bateleurs, des « bohèmes » qui demandent qu’on leur ouvre la porte du château, afin qu’ils montrent