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qui empêchait qu’on ne parlât de son émoi d’une façon très abondante et vive. Les « impressions » de musique ou de la nature que nos écrivains d’aujourd’hui multiplient volontiers auraient paru à Mme de La Fayette et à Mme de Sévigné fort déraisonnables et un peu dégoûtantes, si je ne me trompe.

De Livry, où elle se plaît, Mme de Sévigné, un jour, écrit à Mme de Grignan : « Que vous êtes excessifs, en Provence ! Tout est extrême, vos chaleurs, vos sereins, vos bises, vos pluies hors de saison, vos tonnerres en automne : il n’y a rien de doux ni de tempéré. Vos rivières sont débordées, vos champs noyés et abîmés. Votre Durance a quasi toujours le diable au corps ; votre île de Brouteron, très souvent submergée. » Mme de Sévigné trouvait plus de charme aux paysages de l’Ile de France ; elle préférait à « ce diantre de Rhône si fier, si orgueilleux, si turbulent » la « belle Seine » et ses bords qui sont « ornés de maisons, d’arbres, de petits saules. » Elle avait, contre la Provence, des rancunes : la Provence lui gardait Mme de Grignan si loin d’elle ! Et puis, dans son estimation d’un paysage, elle ne tient pas compte seulement des lignes et des couleurs ; elle ne se contente pas du plaisir des yeux : elle veut aussi son aise. Elle tient compte de la bise : et la bise de Provence, que nous appelons mistral, lui gâte de très beaux endroits. Je l’approuve !

M. André Hallays est allé voir Mme de Sévigné en Provence. Il a vu ce qu’on ne verra plus, les ruines du château de Grignan belles encore, avant l’arrivée des brocanteurs. Quand elle était à Grignan, près de sa fille, Mme de Sévigné oubliait toute rancune, oubliait aussi que Livry fût à son avis plus agréable, en somme ; et elle adorait la Provence. Même l’hiver et par le mauvais temps ! Elle écrivait : « Nous sommes exposés à tous les vents ; c’est le vent du Midi, c’est la bise, c’est le diable... Toutes nos rivières sont prises ; le Rhône, ce Rhône si furieux, n’y résiste pas. Nous ne respirons que de la neige. Nos montagnes sont charmantes dans leur excès d’horreur ; je souhaite tous les jours un peintre pour bien représenter l’étendue de toutes ces épouvantables beautés.. » Le charme dans un excès d’horreur et les épouvantables beautés : cela est dit d’une manière qui ne laisse rien à désirer ; l’on voit le paysage, et l’on voit aussi la personne qui le regarde et qui l’admire sans quiétude.

Ce petit tableau de Marseille est ravissant : « Je suis charmée « le la beauté singulière de cette ville. Hier, le temps fut divin ; et l’endroit d’où je découvris la mer, les bastides, les montagnes et la ville est une chose étonnante... La foule des chevaliers qui vinrent hier voir M. de