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sensibles aux diverses beautés de la nature. M. André Hallays le nie, avec raison. Tous les thèmes de paysages que les poètes ont traités, depuis Lamartine, il prétend les distinguer dans les lettres de Mme de Sévigné. L’on admet, en général, que La Fontaine eut le sentiment de la nature ; ajoutez Mme de Sévigné. L’on assure qu’à cet égard et La Fontaine et Mme de Sévigné sont différents de leurs contemporains. Qu’en sait-on ? M. André Hallays remarque, lui, que Mme de Sévigné n’a pas du tout l’air de considérer comme un sentiment bizarre ou très original son amitié pour le printemps, le clair de lune, les nuits charmantes et les mélancolies de l’arrière-saison. Pareillement, ses correspondants n’ont pas l’air du tout surpris de lui voir cette amitié. C’est qu’ils éprouvent la même amitié. « Ils ne le disent pas. Alors, la règle est de ne communiquer ses pensées et ses sentiments intimes qu’avec toutes sortes de réserves et de précautions ; on n’écrit pas ses impressions. La Fontaine se moque de cette règle, comme de toutes les autres. Mme de Sévigné ne s’y soumet pas non plus, parce qu’elle écrit seulement pour un petit groupe d’amis et parce qu’en tout elle s’abandonne à sa nature expansive. Mais, pour ne pas être objet de littérature, l’amour de la campagne n’en est ni moins vif ni moins répandu au XVIIe siècle qu’à toute autre époque. » Je le crois.

Il est probable qu’au XVIIe siècle on a aimé la nature beaucoup plus que nous ne savons nous en apercevoir. Il est probable aussi que, présentement, on aime la nature beaucoup moins qu’on ne le dit. Ce qui a changé, ce n’est pas tant le sentiment que son expression. De nos jours, l’expression de tous les sentiments a quelque chose d’un peu outré parfois et, plus souvent, de forcené. L’on ne dit pas tout bonnement la vérité ; mais on l’augmente, comme si l’on craignait de n’être pas entendu, comme si l’on s’adressait ou à des sourds qui ont besoin que l’on crie, ou à des imbéciles qui ont besoin que l’on ressasse. En outre, on a conscience de ne rien dire, hélas ! qui n’ait été maintes fois dit, et mieux : pour s’excuser de le redire, on donne de la voix et l’on s’imagine que l’exagération remplace la nouveauté.

Par exemple, lisez ce qu’on écrit maintenant au sujet de la musique : tous les sens, et les moins évidemment tournés à la spiritualité, sont de la partie. Mme de La Fayette écrivait seulement : « La musique de Lulli m’alarme. » Ce petit mot disait, à un lecteur qui n’avait pas le goût dépravé, plus que ne disent à nous tant de pages très sensuelles d’un commentaire exubérant.

Il y avait aussi, au XVIIe siècle, une certaine pudeur de l’esprit et