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une conscience, une destinée, une langue et un art. La terre y est si opulente, si grasse et si lourde, que six bœufs attelés à une charrue y peinent sur le sillon. Le riche plateau se relève çà et là en ondulations lentes et mesurées ou se creuse en replis riants et ombreux... » Ce n’est encore que l’aspect du paysage ; et voici son âme : « Les ruisseaux s’y appellent la Biberonne, le ru du Rossignol ; les villages, Thieux, Compans, Dammartin, Nantouillet... » Les noms deviennent des indices de l’âme qui va se révéler : « Jeanne d’Arc a prié dans l’église de Thieux. Sainte Geneviève, pour apaiser la soif d’une de ses compagnes, a fait jaillir la source limpide auprès de laquelle s’est élevé le monastère. Toutes les vertus et toutes les légendes de la France rendent ici l’air plus doux et plus salubre... » Les paysages de M. André Hallays ne sont pas des solitudes : le passé y demeure.

M. André Hallays se promène dans la vallée du Loir. La poésie de la Renaissance a fleuri là. Il flâne le long de « la parlante rive. » Et Ronsard l’accompagne. Un peu plus loin, Racan survient, qui rem- place Ronsard et mène le flâneur un bout de chemin...


Loir, que tes ondes fugitives
Me sont agréables à voir,
Lorsqu’en la prison de tes rives
Tu les retiens en leur devoir.


C’est qu’un jour Racan s’était promis d’aller voir sa bien-aimée ; il trouva les chemins coupés par l’inondation du Loir. Il adressa « au fleuve du Loir débordé » une ode qui est la remontrance la plus jolie. Ses plus beaux vers, pour les écrire, Racan n’avait « qu’à regarder ses champs et à respirer l’air de la Touraine ; » et, dit M. Hallays, « on n’en goûtera jamais le charme intime et profond, si l’on ignore les lieux où ils sont nés. » L’accord charmant de la littérature et des paysages, ce flâneur savant le saisit avec une heureuse finesse et vous le donne à sentir le plus adroitement du monde.

Il flâne à travers les provinces et à travers les livres. Ceux-ci et celles-là sont la glose ou le commentaire de la France. M. André Hallays leur doit de bien connaître, évaluer et aimer le passé. Il le comprend d’une façon délicate et juste. Je crois que le XVIIe siècle a ses prédilections ; il l’a tendrement cherché, il l’a surpris et il le tient.

Il a rencontré Mme de Sévigné à Paris, aux Visitandines du faubourg Saint-Jacques. Maintenant, il ne reste plus rien du monastère ; on a détruit les bâtiments de Mansart. Quels barbares ont commis ce