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« Ça rappelle des souvenirs ! » Ces quatre mots font les délices de M. André Hallays ; et comme il aimerait Rosanette, demain, si elle vivait ! Rosanette lui a tout simplement défini ce qui l’enchante ici-bas le mieux. Il avoue qu’en respirant l’odeur des siècles elle bâille et qu’elle est dépourvue de littérature. Mais « elle pressent, dit-il, et respecte les rêveries mélancoliques et distinguées des personnes qui savent l’histoire de France. Et d’ailleurs, si ces dernières voulaient à leur tour exprimer le plaisir qu’elles prennent à visiter les lieux historiques, je les défierais de trouver d’autres mots que ceux dont use Rosanette. Ce plaisir-là est un des plus vifs que puisse se donner le llàneur qui aime le passé, mais dont l’imagination nonchalante exige, pour se mettre en branle, la vision des vieux décors et la suggestion des paysages. C’est aussi un de ceux qu’il peut se donner le plus facilement : la terre de France est tellement imprégnée d’histoire ! Partout ça rappelle des souvenirs. » Ça les rappelle à M. Hallays bien autrement qu’à son aimable Rosanette : il a une sensibilité exquise à l’odeur du passé ; puis il sait le détail de l’histoire et il en a l’idée très juste.

Il se défend d’être un archéologue ou un historien ; mais il consent qu’il recueille la leçon des érudits. Pour que l’on voie comme il a profité de leur leçon, comme il a mieux fait que d’en profiter, comme il invente à son tour la vérité de sa rêverie, je veux citer cette page où vit le clocher de Senlis avec une intelligente beauté : « Sur un immense horizon, Senlis dresse la flèche de son ancienne cathédrale. Ce clocher est le plus svelte, le plus élégant, le plus harmonieux que nous ait donné l’art gothique. Il s’élève d’un essor si magnifique et si parfaitement rythmé qu’au premier coup d’œil on dirait un jeu de la nature ; il semble vivant de la vie même du ciel, des nuées et des corneilles. Cette aisance souveraine, cette chaude beauté sont pourtant l’ouvrage du temps et des hommes. Un architecte de génie... Puis les siècles ont mis sur les pierres l’or pâle des mousses et ont achevé le chef-d’œuvre. » M. André Hallays est un grand paysagiste.

Ses paysages ne sont pas déserts. Il ne choisit pas de peindre la nature toute seule et sans les hommes. Il a raison : la nature toute seule est, comme on disait à l’époque de Mme de Sévigné, affreuse. Elle nous intéresse à condition d’être humaine ; et c’est l’histoire qui a pu la rendre humaine. Dans les paysages que dessine et peint M. André Hallays, la nature et l’histoire sont réunies. Voici le paysage de Juilly, « au cœur de la région où la France s’est découvert