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jolis petits œufs proprement disposés dans de petites niches, bien enveloppés, chacun dans un chèque de cinq cent mille francs sur la Banque d’Angleterre, avec le plaisir d’éclore, comme certaines espèces de guêpes, pour apprendre que vos chers parents, non seulement vous ont laissé sous la main de quoi vivre, mais qu’ils ont eu l’attention de se faire happer par une hirondelle plusieurs semaines avant que leur progéniture s’éveillât à la vie pour son compte personnel ? » Et, parlant ailleurs d’un ami, héritier à deux ans d’un des beaux domaines d’Angleterre (ses parents avaient été noyés ensemble dans un naufrage) : « Il y a de temps en temps des gens, ajoute-t-il, envers qui la nature consent à être comme il faut. »

Et non content de donner cours à ces aimables sentiments dans sa conversation et sa correspondance, l’écrivain n’a pas craint d’en faire le sujet de tout un long roman autobiographique, dont le thème n’est autre que l’histoire à peine altérée de ses rapports avec une famille dont la seule personne, dit-il, de laquelle il n’ait eu qu’à se louer, était un petit frère mort à l’âge de quelques mois. Ce livre tant vanté par une certaine école, et qu’un critique appelle « un des grands livres de la littérature universelle, » aborde, il faut l’avouer, un sujet admirable, auquel il ne manque que d’avoir été traité par l’auteur avec un sentiment plus juste de l’humanité. L’histoire de la famille Pontifex représente, en effet, dans l’esprit de Butler, cette loi dramatique du développement de la vie, qui oppose entre elles les générations successives et sépare cruellement les pères et les enfants. « La guerre entre le père et le fils commence, écrit Butler, neuf mois environ avant la naissance de celui-ci. Le fils se met dès lors à exiger son indépendance. La question une fois posée, plus la séparation est complète et définitive, tant mieux pour tout le monde. » il y avait là, on le voit, une étude de psychologie appliquée, une sorte d’expérience sur les lois de l’évolution et de l’hérédité. Mais cette donnée magnifique a été aussitôt gâtée par l’écrivain, qui n’y a vu qu’une occasion de critiquer ses parents et d’épancher sa bile ou de laver en public le linge sale de la famille. Il n’a pas résisté au plaisir de poursuivre de ses rancunes des malheureux qui n’avaient d’autre tort que de professer la morale et les opinions communes des honnêtes gens de leur temps, ce qui semble à leur fils une raison suffisante pour les accabler de railleries et