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la raison que Butler s’entendait mal avec la sienne ? Qu’eût pensé l’humoriste de ce trait de Sunchildisme ?

Il va sans dire que ce dévot admire sans réserve et que son énorme compilation a pour but de venger la mémoire de Butler et de réparer l’injustice de ses contemporains. Et pourtant, quand on vient de lire cet interminable « Mémoire, » on ne peut vraiment soutenir que l’opinion se soit trompée. C’est toujours bientôt fait d’accuser le public : presque toujours, le malheur des gens est causé par eux-mêmes. On en trouve la raison beaucoup moins dans les circonstances que dans quelque défaut d’esprit ou de caractère. Je ne connais pas une note de la musique de Butler, mais s’il n’était qu’un peintre manqué, à qui la faute ? Le fait qu’il renonça de lui-même à la peinture est le plus irrécusable des aveux. Il ne put donc s’en prendre à autrui de la déception qu’il éprouva de ce côté. Son début littéraire avait été fort engageant, et ce n’est la faute de personne s’il fît tout ce qu’il fallait pour gâter ses affaires. Le roman qui lui a valu la gloire parut après sa mort. De quoi eut-il à se plaindre ? Il était d’excellente famille, et préféra à cette famille les risques de la bohème. Son père lui coupa les vivres. Il refit sa fortune à la Nouvelle-Zélande, la hasarda et la perdit dans de mauvaises spéculations. Cette mésaventure n’a rien d’exceptionnel. La gêne fort tolérable qui en résulta pour l’écrivain ne peut passer non plus pour un malheur bien dramatique. Butler eut un ami qui le trompa. Sa manière d’être avec Pauli est peut-être le seul trait de générosité qu’on trouve dans sa vie. Il en fut mal récompensé. Cet homme, plus riche que Butler, eut l’art de se faire entretenir pendant trente ans par son ami. Ce fut pour Butler une sottise, mais cette sottise lui valut le plaisir d’une bonne action qui a fait la meilleure affaire ?

Butler eut enfin une amie, et elle était charmante. Miss Savage eut pour lui pendant plus de quinze ans le dévouement le plus ingénieux, toute la tendresse délicate que déploie une femme pour consoler l’irritation d’un amour-propre blessé. Elle était cultivée, elle avait de l’esprit. Elle écrivait des lettres d’un tour qui fait penser à la correspondance de Mme du Deffand. Les fragments recueillis par M. Festing Jones sont la partie la plus précieuse de son indigeste ouvrage. On ne peut les lire sans un sentiment de pitié. C’est l’histoire d’un lamentable malentendu. Miss Savage boitait ; elle mettait