d’un roman autobiographique, dont le titre, The way of all flesh, peut se rendre à peu près par les mots Une vie, donnait brusquement à l’écrivain une gloire posthume qui lui avait été refusée pendant toute son existence. Le charme était rompu. Les admirateurs venaient en foule. Les livres de Butler se vendaient. M. Bernard Shaw déclarait leur auteur « le plus grand écrivain de la deuxième moitié du XIXe siècle, » et Erewhon « le meilleur roman de son espèce qui eût paru depuis Gulliver. » Les éditions se multipliaient avec rapidité, tandis que The way of all flesh devenait ce qui s’appelle un succès mondial et connaissait les gros tirages que son malchanceux auteur avait ambitionnés en vain toute sa vie. Il lui avait suffi de mourir pour devenir classique. Chaque année, un banquet d’Erewhon réunissait un groupe d’amis autour de sa mémoire, et le cercle chaque fois allait s’élargissant. Butler prenait figure de maître, de précurseur. Ses carnets, ses notes, les moindres bribes de ses ouvrages étaient soigneusement recueillis. On imagine l’écrivain souriant, derrière sa barbiche, de son sourire désabusé, en présence de tant de manifestations d’une célébrité désormais inutile et devant ce tardif retour qu’il avait prophétisé.
De ce culte récent pour l’auteur d’Erewhon, les deux gros volumes du Mémoire de M. Festing Jones sont bien le témoignage le plus monumental, en même temps que le genre d’hommage le plus propre à satisfaire les mânes ulcérés du modèle. Butler avait d’ailleurs pris soin d’en préparer les éléments, en annotant lui-même ses papiers et ses lettres. Et, pour publier ces reliques, de quel éditeur plus pieux eût-il su faire choix qu’en désignant le compagnon de ses dernières années, son collaborateur de Narcisse et d’Ulysse ? On trouvera dans cet ouvrage tout ce qui est de nature à éclairer les livres de l’écrivain anglais qui s’est le plus « confessé, » et qui a écrit que « quoi qu’on fasse, on ne fait jamais que son portrait. » Sur la famille de Butler, sur sa personne, sur ses amis, sur son histoire morale et littéraire, tout est dit dans ces neuf cents pages, tout, jusqu’aux niaiseries les plus insignifiantes, telles que le nombre de coups de brosse que l’écrivain se donnait chaque jour sur les cheveux, sa passion des œufs frais et le compte de ses cigarettes. De son héros, M. Festing Jones pense que tout est sacré. Que dis-je ? Ne va-t-il pas, pour s’identifier avec lui, jusqu’à nous faire part de ses propres difficultés de famille, par