Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mélange. S’il est heureux que l’Islam ait cessé d’absorber toute l’existence de ses fidèles et se réduise de plus en plus à les doter d’une foi et d’une morale, on peut regretter le déclin de la civilisation qu’il a engendrée et dont la rénovation enrichirait l’humanité. Il faut donc se garder de souhaiter l’européanisation totale des nations musulmanes. Que ces hommes se gardent de renoncer à ce qui fait leur originalité. Ils n’ont nullement besoin de manger, de se vêtir comme nous, de copier nos modes, de suivre nos engoûments, de prendre et de laisser en même temps que nous nos manies éphémères. Si la classe riche et le monde des fonctionnaires vivent presque entièrement à l’européenne, la masse des paysans, des ouvriers, des petits patrons, a conservé eu grande partie ses vieilles idées et ses anciens usages. Au-dessus d’elle, les ulema vivent et pensent comme pensaient et vivaient leurs prédécesseurs, il y a cinq ou six cents ans ; ils enseignent dans les medressehs aux milliers d’étudiants qui se pressent chaque jour autour de leurs chaires magistrales, en expliquant des commentaires qui datent pour la plupart du XIVe ou du XVe siècle, les sciences instrumentales et finales : grammaire, rhétorique, logique, exégèse coranique, théologie, droit..., dont ils conservent le précieux héritage pour en transmettre le dépôt [1].

Devenus uléma eux aussi après de longues années d’études et de nombreux examens, leurs disciples vivent à la campagne ou dans les quartiers indigènes des villes et exercent une grande influence sur les gens du peuple. Appartenant tous à des familles pauvres et de condition modeste, étroitement confinés dans leur milieu, ils ignoraient naguère tout de la vie moderne. On a compris il y a quelques années en Tunisie et en Egypte la nécessité d’ouvrir ces esprits aux idées et aux méthodes de notre temps. La Khaldounia, fondée dans le premier de ces pays pour développer l’instruction chez les musulmans, a organisé des cours de français et de science qui sont suivis avec beaucoup d’attention par les étudiants de la Grande Mosquée. Au Caire, des cours analogues sont faits depuis quelques années aux étudiants d’El Azhar dont beaucoup possèdent maintenant

  1. Sur l’enseignement dans les medressehs indigènes, Delphin : Fas, son université et l’enseignement supérieur musulman ; Snouke-Hurgronje, Mekka, 2e volume ; et P. Arminjon, l’Enseignement, la doctrine et la vie dans les universités musulmanes d’Egypte.