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caractère religieux ; certains publicistes de ce parti préconisèrent, sous le nom de panturcisme et de pantouranisme, la substitution du turc à toutes les autres langues parlées dans l’empire, y compris l’arabe, la suppression de l’autonomie traditionnelle dont y jouissent les communautés religieuses et de nombreuses peuplades ou tribus, enfin l’annexion à la Turquie de tous les musulmans supposés de race touranienne : russes, persans, etc., etc.. On sait que l’application de ce programme en Albanie et en Macédoine fut une des causes de la guerre balkanique.

Ces visées, parfaitement chimériques, ne pouvaient avoir d’autre effet que d’affaiblir le sentiment national chez les musulmans. L’effondrement de la Turquie les a réduites en poudre et, maintenant que cet obstacle est écarté, on peut espérer que l’idée de la patrie territoriale, dégagée de tout alliage religieux, va être conçue par tous les Orientaux comme elle l’est déjà par les Tunisiens et les Egyptiens.

Un des éléments de cette idée et de ce sentiment étant le désir d’établir ou de développer l’indépendance du pays, la haine des étrangers qui entravent cette indépendance les accompagne et les fortifie presque toujours et ils revêtent souvent une forme violente. Dans les colonies, ils ont pour premier résultat de rendre les indigènes moins maniables, plus susceptibles et plus rétifs. Cette tendance, incommode aux colons et aux administrateurs coloniaux, est pourtant non seulement naturelle et inéluctable, mais heureuse et désirable. Nous devrions donc nous efforcer d’encourager tout ce qui peut avoir pour effet d’élargir le cœur des sujets musulmans de nos possessions africaines dont beaucoup sont encore exclusivement attachés à leur famille, à leur tribu et à leur religion, pour y faire germer tout d’abord l’amour de leur pays, puis, dans une sphère supérieure, l’amour de la France. Pour cela, il faut se garder de les parquer dans leur vie sociale, mais au contraire, tout en respectant leurs habitudes et leurs coutumes, les intéresser à la gestion des affaires publiques, leur ouvrir le plus libéralement possible l’accès des fonctions et du pouvoir, de façon à en faire graduellement de véritables citoyens.