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depuis une trentaine d’années, il a en Tunisie, en Egypte, dans les Indes, subventionné les journaux, encouragé et flatté leurs rédacteurs. La presse d’Europe elle-même n’a pas toujours, dit-on, échappé à ce travail de séduction. A l’intérieur de son empire, les agents de l’administration turque ont entrepris de convertir de gré ou de force à la doctrine islamique les fractions dissidentes de l’Islam : Nosairis, Druses, Ismailis, Yezidis. Ils leur ont bâti des mosquées et des écoles, imposé des cheikhs chargés de rectifier et de purifier leurs credos ; enfin, pour mieux les assimiler, ils ont soumis au service militaire ces populations qui en avaient toujours été exemptées.

Abdul Hamid s’est enfin attaché à placer à la Mecque le foyer du panislamisme, profitant des facilités qu’offrait à la diffusion de cette tendance unificatrice, la mise en contact, par le pèlerinage, des musulmans les plus zélés de toutes les régions de l’Islam. Le résultat de ces efforts a été non seulement de grandir le prestige de l’empire ottoman, mais d’en faire le centre des espoirs de tous les fidèles qu’attristait la décadence des sociétés islamiques. Parmi tant de pays musulmans profondément affaiblis, désorganisés, assujettis, ils virent en lui le seul Etat resté sinon puissant, tout au moins souverain et beaucoup le crurent capable de rendre à l’Islam sa force militaire et sa prospérité matérielle [1].

Une des raisons de la faveur que cette politique rencontra auprès des musulmans les plus éclairés c’est qu’ils y trouvèrent un aliment aux aspirations politiques souvent encore obscures et mal définies qui les travaillaient depuis longtemps d’une façon plus ou moins latente. Ils virent dans le mythe de la restauration du khalifat, une idée-force accessible aux esprits les plus incultes, bien faite pour unir tous les musulmans, remuer et soulever leur masse inerte en réveillant leur fanatisme assoupi et ils s’imaginèrent que le prestige du sultan de Constantinople, gardien des Lieux-Saints et prétendu héritier des khalifes de Bagdad, offrait un point d’appui solide à une réaction de l’Islam contre la pénétration politique, la mainmise économique et financière, l’envahissement scientifique de l’Occident. Après la chute d’Abdul Hamid, les Jeunes-Turcs continuèrent cette politique en la dépouillant de son

  1. XX. Le Sultan de Constantinople et le khalifat. — Revue de Paris, 1er septembre 1916, p. 205.