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mais destiné tôt ou tard à être uni de nouveau sous la souveraineté du khalife et de leur supériorité sur leurs compatriotes infidèles groupés en communautés autonomes et dont les séparaient, autant que la religion, le genre de vie, la législation, les institutions et même la langue.

Ils ont conçu ou plutôt dégagé l’idée de patrie en la voyant réalisée en Occident. Elle s’est emparée de leurs esprits par sa beauté et aussi par la force qu’ils lui attribuaient. En Turquie, en Egypte, dans l’Inde britannique, elle s’est développée et affermie à mesure que le gouvernement, l’administration, la loi se sécularisaient et que s’effaçaient les différences qui séparaient les mœurs, les usages, la condition juridique des membres des diverses communautés religieuses.

Elle peut inspirer deux tendances différentes qui ont pour objectif, l’une, l’indépendance du pays, sa libération de l’ingérence et du contrôle de l’Etat européen par lequel il est dominé, c’est le but que visent les nationalistes égyptiens ; l’autre, le désir de jouir de tous les droits des citoyens de cet État et de participer avec eux sur un pied d’égalité à la vie politique, c’est l’ambition des Algériens, des Tunisiens et des Hindous.

L’écroulement de ce qui subsistait de l’Empire ottoman va faire disparaître le dernier obstacle qui arrêtait les progrès de l’idée nationale chez les musulmans. Tant que la Turquie a fait figure de Grande Puissance, ils pouvaient espérer son relèvement et croire au retour du « khalifat parfait, » l’âge d’or durant lequel tous les fidèles vécurent unis sous les quatre premiers successeurs du Prophète.

On sait avec quelle ténacité et quelle méthode Abdul Hamid s’est efforcé de refaire à son profit l’unité des musulmans en affirmant par mille moyens, les uns religieux, les autres politiques, ses prétentions au titre de khalife, que la constitution du 11/23 décembre 1875 fut le premier document officiel ottoman à lui reconnaître. Il a offert dans sa capitale un refuge aux mécontents contraints de quitter les colonies européennes. Ses émissaires, journalistes, cheikhs des confréries mystiques, agents de toute sorte, se sont répandus partout où il y a des musulmans. Il a multiplié les consulats ottomans et en a fait des centres de propagande. Comprenant tout le parti qu’il pouvait tirer de la presse arabe qui s’est si rapidement développée