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fondant sur la coutume et Je silence des docteurs [1]. On lui doit la reconnaissance officielle des six recueils canoniques du hadith (traditions prophétiques) et celle des quatre écoles juridiques caractérisées respectivement par leur rituel et leurs dispositions légales.

C’est ainsi que le monde musulman est régi, suivant les régions, par quatre législations, toutes pareillement orthodoxes, au moins aussi différentes que le droit italien et le droit français. Elles furent élaborées durant les trois premiers siècles de l’hégire par plusieurs générations de jurisconsultes d’autorité inégale. Ces docteurs ont exprimé leurs déductions sous forme soit de traités doctrinaux, soit de consultations (fetouas). L’importance des juristes des deux premiers siècles est immense, puis, vers le IXe siècle de notre ère, suivant une expression qui est devenue banale et qui a revêtu en quelque sorte la force d’un dogme, « la porte de l’effort législatif fut close » et les juristes n’eurent plus qu’à utiliser les travaux de leurs grands devanciers, qu’ils ne pouvaient songer à égaler et grâce auxquels toutes les parties de droit avaient été réglées. Il a été souvent question ces dernières années de rouvrir cette porte et d’adapter le droit islamique aux besoins de la vie moderne.

Tout au moins est-il loisible au souverain de compléter les dispositions de ce droit d’accord avec les représentants des ulema sur les points qu’elles ont laissés dans l’ombre, il ne dispose pas du pouvoir législatif, mais le pouvoir réglementaire lui appartient et il l’exerce en édictant des règlements (qanouns) sous le contrôle du cheikh ul-islam, chef des docteurs de la loi. Tel fut l’instrument de toutes les réformes réalisées dans l’empire ottoman au cours du dernier siècle.

Ces changements suivirent de près la renaissance religieuse et la rénovation de l’esprit public, provoquée par la réaction ouahabite, grâce auxquelles fut vraisemblablement prolongée de plus de cent ans l’existence de l’empire ottoman, en pleine décadence au XVIIIe siècle et dont les hommes d’Etat européens prévoyaient alors la chute imminente.

  1. L’étude de la mystique islamique et de ses principaux organes, les tourouk, ne saurait trouver place dans ce travail : elle nécessiterait de longs développements. La faveur avec laquelle elle est considérée et pratiquée par les uléma les plus orthodoxes est un nouvel et décisif argument en faveur de la compréhensivité et de la flexibilité de la doctrine islamique.