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IV. — L’ÉVOLUTION DE LA DOCTRINE ET DES INSTITUTIONS

Sans parler des hérésies qui ont commencé à foisonner après la mort de Mahomet, dont la plus ancienne le chiisme est devenue en Perse religion d’État et dont quelques-unes, le ouahabisme, le babisme ou le bahaïsme, sont d’origine récente, la dogmatique et le droit orthodoxes ne sont point, comme on parait le supposer, sortis d’un seul jet de la révélation coranique, ils se sont formés graduellement sous l’action de vives controverses et de luttes sanglantes.

L’interprétation juridique du Coran et de la tradition prophétique s’est dégagée la première ; la spéculation dogmatique n’a pris son essor qu’assez longtemps après, pour lutter contre les dissidents qui menaçaient l’unité religieuse. La nécessité de donner une organisation et des lois aux pays conquis fit naître et se développer très rapidement un système juridique aussi remarquable par son originalité que par sa richesse. Les légistes auteurs de cette construction en trouvèrent les matériaux dans le Coran, dans les paroles et la conduite du Prophète, dans les décisions de ses compagnons ; ils la mirent en œuvre au moyen d’une dialectique très souple et très libre en tenant compte des coutumes locales dont l’intervention plus ou moins prédominante a été l’origine des écoles juridiques entre lesquelles se répartissent les musulmans.

Le Prophète avait dit : « Les miens ne s’uniront jamais dans l’erreur, » et « la variété des opinions est une miséricorde d’Allah. » Ces deux paroles justifient la diversité des règles juridiques et liturgiques ainsi que la conception de l’accord doctrinal (idjma) de l’Islam dans les questions controversées.

L’idjma a toléré la spéculation même hardie et laissé le dogme évoluer, mais il sait prévenir les abus de cette liberté ; il a permis aux opinions nouvelles de se manifester, à charge par celles-ci d’obtenir sa ratification lorsqu’elles eurent pris corps. Le culte et l’intercession des saints, la vénération pour leurs tombeaux, le mysticisme (soufisme) et les pratiques spirituelles qu’il inspire aux confréries de derviches paraissent opposés à l’esprit du monothéisme coranique, qui n’admet aucun intermédiaire entre Allah et les croyants. L’idjma les a légitimés en se