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à tous les indigènes ; et il résulte de cette pratique un grand prestige pour la religion dont ce droit est un des éléments. C’est ainsi que les dispositions de la législation islamique furent longtemps en Algérie imposées aux Kabyles et aux Mozabites. « Les décrets du 22 mai 1905 et du 29 janvier 1907 qui ont constitué des tribunaux musulmans à Saint-Louis et dans d’autres localités, obligent les magistrats à établir, en matière musulmane, leurs sentences sur la loi coranique. L’application de ce texte a provoqué des protestations au Sénégal et plus spécialement à Dakar où la majorité de la population connue sous le nom de Lebous est régie par des coutumes particulières [1]. »

Les missionnaires et les ulema musulmans savent au contraire se plier aux habitudes et aux préjugés du milieu religieux dans lequel ils agissent et y adapter leur dogmatique et leur rituel ; ils laissent leurs adeptes assister aux fêtes populaires et vénérer les saints du pays et les objets réputés sacrés. Parmi les populations ignorantes de la Malaisie et de l’Afrique les cheikhs rédigent des talismans ou des amulettes, pratiquent la magie, l’astrologie, la divination. Dans l’Indoustan, certains convertis, ont conservé leurs castes. Beaucoup continuent à observer les superstitions locales [2]. En Chine, les musulmans suivent le culte des ancêtres et, lorsqu’ils sont fonctionnaires ou officiers de l’armée, pratiquent certains rites de la religion officielle et offrent les sacrifices qu’elle prescrit.

Nous en avons assez dit pour montrer la force d’expansion, la faculté d’assimilation et d’adaptation au milieu, grâce auxquelles ont été réalisés les grands et rapides progrès que nous venons de décrire. Toutes ces qualités prouvent que l’islamisme n’est point la religion invariable, inadaptable par sa nature, déchue, atrophiée, figée dans un étroit formalisme qu’on nous a souvent dépeinte. C’est la constatation qui va se dégager du tableau schématique de l’évolution de sa doctrine et de ses institutions.

  1. Les Mourides au Sénégal, Rapport au gouverneur de l’Afrique occidentale, par E. Marty, Revue du monde musulman, 1913, p. 7.
  2. S. Wilson, Modern movements among Moslems, p. 33 et 45.