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peu à peu de dogmes et de mystères dont la grande masse des croyants ignore l’existence, elle n’a pas de prêtres, le prosélytisme est exercé par tous les fidèles qui s’en croient capables, et chaque trafiquant se double d’un propagateur de la foi. A cette armée de catéchistes bénévoles que les conversions grossissent chaque jour, les missions chrétiennes n’opposent qu’un nombre tout à fait insuffisant de prêtres, pour la plupart européens et que tout sépare des populations qu’ils s’efforcent de convertir aux vérités peu accessibles à ces esprits frustes de leur credo : caractère sacerdotal, origine, mentalité ; célibat quand il s’agit de prêtres catholiques. Moins hardis que les premiers apôtres, les missionnaires ne se résolvent que très rarement, et sans doute ont-ils pour cela d’excellentes raisons, à ordonner des indigènes et même à s’en adjoindre en qualités de catéchistes. Les divergences dogmatiques qui les séparent, suivant la confession à laquelle ils appartiennent, les rivalités, les controverses et les luttes qu’elles entraînent font ressortir l’unité au moins relative de l’Islam.

En Afrique les confréries de derviches, au premier rang desquelles il faut placer les Kadriyas, les Tidjaniyas, les Senoussis, et leurs centres ou zaouias sont des foyers très puissants de prosélytisme, mais une des causes extérieures les plus efficaces de cette expansion est le progrès de la colonisation. Grâce à l’ordre, à la tranquillité, aux facilités de communications qui en sont les effets, les trafiquants arabes et les agents des zaouias se sont multipliés et ont de nouvelles facilités pour exercer leur apostolat. Fait curieux, ils trouvent généralement auprès des fonctionnaires et des officiers européens une faveur et un appui qui inspirent aux missionnaires d’incessantes récriminations pas toujours exagérées. Les raisons de cette politique ne sont pas difficiles à déduire.

L’Islam est une force organisée avec laquelle il faut compter et sur laquelle on peut s’appuyer : les musulmans sont en général plus instruits et ont un rang social plus élevé que les autres indigènes, aussi les employés subalternes des services coloniaux sont-ils recrutés parmi eux et ne manquent-ils pas de favoriser leurs coreligionnaires. Il en est de même du personnel enseignant, de sorte que la langue scolaire est celle du Coran. Le droit islamique étant plus facile à connaître que les usages locaux, les juges ont une tendance à en faire application