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naturelles. De plus en plus l’antique conception islamique de la société et de la loi, qui n’a d’ailleurs jamais été appliquée que partiellement et avec toutes sortes de tempéraments, devient une pure théorie dont l’influence sur la conduite ne cesse de s’affaiblir. Cette évolution est bien loin d’être achevée et il importe, avant de décrire ses tendances et de rechercher l’avenir des sociétés islamiques, d’exposer les principes essentiels de la doctrine qui leur a si longtemps servi d’armature et qui inspire encore certaines de leurs institutions.


II. — LE PROBLÈME ISLAMIQUE

L’Islam est à la fois une religion et une société, plus exactement c’est une société créée et constituée au moyen de règles précises, minutieuses, strictes, immuables, contenues dans une doctrine révélée dont elle a pour fin de maintenir et de propager les dogmes et les lois. Abstraction faite des sectes mystérieusement enfermées dans un cercle étroit de zélateurs, c’est là un caractère que l’on ne trouve dans aucune des religions professées dans les autres sociétés extra-orientales telles que le bouddhisme, l’hindouisme, la parsisme, la taoïsme, le fétichisme sous ses diverses formes et qui consistent en un mélange de dogmes et de pratiques rituelles, de prohibitions, de préceptes moraux, tous plus ou moins inconsistants, sans action efficace sur la vie publique, opposant peu de résistance aux institutions européennes et se conciliant sans difficultés avec la notion de la patrie territoriale, avec celle d’une loi ou d’un pouvoir social temporel d’origine humaine. Bien différent du christianisme dont le droit canonique ne se présente guère comme un droit véritable, c’est-à-dire comme un ensemble de règles positives et pratiques, obligatoires à l’exclusion de toute autre disposition, que pour ce qui concerne la formation et la dissolution du mariage et s’accommode de toutes les formes de gouvernement, l’islamisme ne se renferme pas dans la sphère supraterrestre de la vie spirituelle ; il ne sépare pas, ainsi que les religions chrétiennes le font plus ou moins complètement, les brefs commandements qu’elles déclarent obligatoires, des préceptes nombreux, contingents, variables qu’elles laissent aux législations civiles le soin d’édicter ; il prétend régler minutieusement toute existence, diriger de près les intelligences et la volonté