Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/657

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai revu bien des fois à Rome, le jeune « directeur perpétuel » de la chapelle Sixtine. Que d’heures harmonieuses, tous les étés, nous passâmes ensemble ! Je traversais un cortile aux murs jaunes, où chantait une fontaine, où fleurissaient en des vases de terre cuite et de forme latine, des lauriers roses et des lauriers blancs alternés. Au plus haut étage du palazzo Taverna, dans le studio d’où la vue s’étendait sur le château Saint-Ange et le Monte Mario, don Lorenzo m’attendait, assis au piano. Je le trouvais toujours comme enveloppé, comme baigné de musique et jusqu’à la chute du jour, notre admiration commune se partageait entre les cantates de Bach et les motets de Palestrina.

Surtout j’aimais de l’entendre et de le voir préparer d’abord, puis diriger quelque funzione solennelle. Chacune de ses leçons préliminaires, à la Scuola de la Sala Pia, semblait une scène primitive, enfantine et charmante. Je n’y ai jamais assisté sans me rappeler l’inscription qu’on lit dans le voisinage sur une rampe du Janicule : « Qui... Filippo Neri, fra liete grida, si faceva coi fanciulli fanciullo, sapientemente. Ici... Philippe de Neri, parmi des cris joyeux, se faisait petit avec les petits, sagement. » Mais au jour de la cérémonie pontificale, sous le plafond de Michel-Ange, alors, par la grandeur même du lieu, de la circonstance et de leur office, eux et lui, le maître et les écoliers, ils me paraissaient grandis. Lui surtout, je me rappelais ce qu’il avait été, ce qu’il était encore pour le Pontife qui l’écoutait, et ce que ce Pontife était pour lui. Entre l’un et l’autre la dignité suprême avait mis désormais une infranchissable distance et relâché, sans la rompre, l’intimité qui faisait naguère leur commune joie. C’en est fini, me disais-je, des rares moments de loisir que la musique, celle qu’ils goûtaient ensemble, avait le droit de charmer. Tous les deux cependant elle continuait de les unir. Alors, en écoutant chanter devant le Pape les chœurs de la chapelle papale, je devinais, je partageais l’émotion de celui qui les dirigeait, invisible derrière le grillage doré de la cantoria. Dans les chefs-d’œuvre des maîtres, et dans ses œuvres à lui, je croyais surprendre, montant vers le Pontife qu’il aimait, l’hommage de sa reconnaissance, le soupir ou le cri de son filial amour.

Pie X le Musicien. L’histoire consacrera ce titre, l’un des premiers, sinon le premier que le grand pape ait mérité. N’est-ce