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s’achevait. Une cloche ordonna le silence. Quelques secondes passèrent, et tout à coup, d’une voix unique faite de toutes leurs voix, les moines entonnèrent la prière d’actions de grâces. Il n’y avait pas là de mélodie, une psalmodie à peine, et, sur une seule note, longuement tenue, comme une coulée de lumière. A la fin, le robuste unisson descendit d’une tierce et, doucement, s’éteignit. Ce fut tout. Mais cela suffit pour m’apprendre ce que le moindre signe sonore peut avoir de noblesse et de puissance, de pure et sereine beauté.

Parmi des lettres anciennes, je retrouve, déjà vieux de près de vingt ans, ce billet de Lorenzo Perosi : « En vous souhaitant la bienvenue sur la terre italienne, j’ai le plaisir de vous dire que j’arriverai à Pise jeudi pour vous voir. » Et moi-même je revois aussitôt ce jeudi d’octobre 1903, dans cette Pise moins pâle mais aussi muette, aussi lasse, aussi belle que Desdemona sur son lit de mort : « E tu, corne sei pallida, e muta, e stanca... e bella ! » [1] C’est là, par une tiède journée d’automne, que j’entendis me parler du nouveau pape, de Pie X le Grand, le Saint, le Musicien, le jeune prêtre, qui pendant quatre années, à Venise, avait été non seulement le maître de chapelle, mais l’hôte et le commensal quotidien du patriarche, le fils chéri de son esprit et de son cœur. Appelé par Léon XIII à la maîtrise de la Sixtine, don Lorenzo avait dû quitter Venise pour Rome, et voici qu’appelé par Dieu, Pie X était venu l’y rejoindre. C’est don Lorenzo qui m’ouvrit le premier les portes du Vatican. Avant tout autre, c’est à lui que je dois, — quelle dette sacrée ! — l’honneur et le bienfait inouï de la plus auguste amitié. Quatre ans avant notre rendez-vous de Pise, j’avais connu à Paris l’auteur de la Résurrection du Christ. J’avais surtout admiré, comme je fais encore aujourd’hui, la seconde partie de son œuvre. Un souffle ardent et fort la soutient et la transporte. L’Aube du triomphe est le titre de ces pages éclatantes. Elles le justifient. Tout y est figuré, tout y est émouvant : le prodige et le paysage ; plus encore la rencontre de Madeleine et du jardinier divin, son trouble, son saisissement, et, répondant à l’appel du maître, son cri : Rabboni ! l’un des plus beaux que des lèvres, du cœur de cette femme, la musique ait jamais arrachés.

  1. Otello, de Boito et Verdi.