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humblement cette ressemblance, et j’ai recueilli ces leçons. Les fils de saint Benoit avaient fait de moi leur hôte, leur compagnon et leur disciple. Gardiens millénaires d’un idéal esthétique et religieux, ils m’en découvraient le mystère par une initiation pleine de douceur. Quelle école était la leur ! Et quelle suprême harmonie la nature environnante ajoutait à la beauté de leurs enseignements et de leurs exemples ! Je crois toujours les voir et les entendre, dans le paysage familier, grave et charmant comme eux, où se mêlaient, à la française, les grâces tempérées de la terre, du ciel et des eaux. Tous ces biens leur ont été ravis. La France elle-même, le suprême bien, n’est plus leur. Sur une autre terre, d’exil mais de liberté, qui les a noblement accueillis, ils n’ont perdu ni l’espoir, ni l’esprit de retour. Contant la vie de saint Grégoire, Montalembert a rapporté cette légende : une nuit que le pontife dormait, « l’Église lui apparut sous la forme d’une muse magnifiquement parée, qui écrivait ses chants et qui en même temps rassemblait tous ses enfants sous les plis de son manteau. Or, sur ce manteau était écrit tout l’art musical, avec toutes les formes des tons, des notes et des neumes, des mètres et des symphonies. » Aujourd’hui ce n’est plus sur notre patrie que s’étend le manteau mélodieux. Il s’est rencontré des Français pour ne plus permettre qu’avec l’air natal, avec l’air de France, des lèvres françaises, pures entre toutes, forment d’admirables chants. Je les ai vus là-bas, au bord des flots étrangers. Si je ne dois plus les revoir, je veux du moins leur renouveler ici l’hommage de mon respect, de mon admiration fidèle, et mes actions de grâces pour tous les biens que j’ai reçus d’eux naguère, alors qu’ils habitaient parmi nous.

J’ai souhaité souvent un livre, un beau livre, sous ce titre et sur ce sujet : « Rome et la musique. » « À Rome, à Rome ! » s’écrie Tannhäuser. Cri d’un pénitent, qui devrait être plus souvent celui des musiciens. On prétend aujourd’hui que Rome n’a rien à leur dire. Mieux vaudrait leur apprendre à l’écouter. Pour moi, je ne me suis jamais lassé de l’entendre. Les souvenirs ou les échos de ses voix sans nombre sont de plus d’une sorte : il en est de profanes et de sacrés, les uns lointains et les autres d’hier. Dans le jardin de la délicieuse villa Mattei, sur un banc de pierre, on lit ces mots : « Voici la place où saint Philippe aimait à s’entretenir avec ses disciples des choses de Dieu. » Ils parlaient, priaient et sans doute chantaient ensemble