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offensé, Dieu lui pardonna ses offenses et par lui, pour lui, tous les vœux du Pater se sont accomplis.

Après Saint-Gervais, comment pourrais-je oublier un autre sanctuaire, asile peut-être plus vénérable encore de la prière et de la beauté ! Par une injuste loi, toutes les deux en ont été bannies. Solesmes est désert aujourd’hui. Ses voûtes sont muettes, ses parterres défleuris, « et de Jérusalem l’herbe cache les murs. « Il y a vingt ans, sur la foi d’une vieille lettre de Louis Veuillot à l’un de ses amis, j’allai passer quelques jours à l’abbaye. Veuillot ne montait pas : ils m’ont valu « des mois d’études. » J’ai été « reçu chrétiennement, c’est tout dire. » On m’a logé dans « une des chambres qui donnent sur la campagne et sur la rivière ; » d’un côté, « j’ai entendu chanter les oiseaux, de l’autre, les moines... J’ai joui de la beauté des offices... La science ici est douce et généreuse ; le savant ne garde pas sa trouvaille pour garnir un rapport à l’Académie. Comme c’est à Dieu qu’il a demandé la science, il sait qu’il ne l’a reçue que pour la donner ; il la donne. Oh ! que ces hommes savent, et savent humblement, et enseignent cordialement ! » Encore plus que leur science, c’est leur art qu’ils m’ont donné. Je leur ai dû la révélation du plain-chant, ou du chant grégorien. Et je ne crois pas avoir éprouvé de joie, d’émotion plus profonde, en toute ma carrière de musicien.

A Solesmes seulement, beauté et vérité me sont apparues inséparables. Là seulement j’ai trouvé dans la musique, non pas une imitation plus ou moins fidèle, mais en quelque sorte un mode, le mode supérieur, essentiel, de la vie. Et de laquelle ! En toute circonstance, à tout moment de cette vie, supérieure elle-même, et surnaturelle, le chant des religieux et des moniales de Solesmes n’emprunte, ne simule et n’affecte rien. Rien n’y est fictif ou figuré. Ces grands artistes véridiques ne représentent jamais : ils vivent encore une fois, ils sont. Leur art ne se distingue pas de leur âme, il est le fond et la substance de leur être. Oh ! si nous pouvions, si nous savions, ne fût-ce que pendant une semaine, et de loin, de très loin, leur ressembler, la vérité qu’ils adorent et la beauté qui se confond avec elle nous paraîtrait à nous aussi la seule digne de notre croyance et de notre amour.

A Solesmes, un jour de Saint-Jean, de Saint-Jean d’été, et pendant quelques jours encore, j’ai souhaité, j’ai cherché naguère